Autre

Sur le seuil (1), Ma vie achève son parcours terrestre, par François Marie Algoud (2)

Lorsque j’avais moins de dix ans, et alors que j’habitais dans la maison de ma naissance, à Bois-Colombes, il m’arrivait de m’installer sur le rebord du trottoir de la rue des Vars prolongée – si calme alors – pour bénéficier d’une large vue du ciel :
Les constellations d’étoiles me fascinaient et entraînaient mes réflexions :
« Où s’arrêtent-elles ? »
« Qu’y a-t-il après ? »
« S’il n’y a pas de limites à leurs amas, comment est-ce concevable ? »
Le petit bonhomme était perplexe, et il conclut alors que si la notion d’infini était humainement inexplicable, c’est qu’il y avait quelque chose qui dépassait tout entendement humain et qui ne pouvait être que le Dieu qu’il vénérait et adorait en tant que simple enfant de chœur, après en avoir découvert l’existence grâce à sa mère.
La certitude alors acquise s’est renforcée durant toute ma vie de ce que j’ai lu, et des expériences humaines d’une vie bien remplie. J’ai pu constater que l’ignorance ou la négation de Dieu découlait en général de la suffisance, de l’orgueil de l’individu, ou de la volonté de remettre à plus tard la re­cherche d’une solution à cette existence évidente pour l’enfant.
Pour moi, j’y insiste : la Foi et tout ce qu’elle entraîne et conditionne vient de ma mère (mon père étant lui-même en recherche à l’époque).
*
A douze ans, j’ai découvert Charles Maurras. Mon père était lecteur de L’Action française, et avait été président de la section de Bois-Colombes, avant notre déménagement à La Garenne-Colombes en 1930.
Avec ma mère, nous sommes allés rendre visite au maître, à Martigues, dans sa maison et son si beau jardin du Chemin de Paradis.
Marqué par l’accueil toujours exquis de notre hôte, et déjà convaincu par mon père de la valeur inestimable de l’engagement du plus grand auteur contre-révolutionnaire connu, je devins délégué des lycéens d’Action française pour ma classe de 5e du Petit Lycée Condorcet, à Paris, rue d’Amsterdam.
Toute ma culture politique s’ensuivit et, j’y insiste, c’est à mon père que je le dois.
*
A seize ans, deux acquisitions majeures marquèrent cette époque de ma vie, puis celle-ci tout entière, jusqu’à ce jour :
– L’Imitation de Jésus-Christ, traduction nouvelle de l’abbé Fernand Martin, aux Classiques Garnier, imprimée en juin 1936 ;
– Le Dictionnaire politique et critique de Charles Maurras, établi par les soins de Pierre Chardon, en cinq volumes, édité par la Cité des Livres, Paris, 1932-1934. Le tout représente 2390 pages sur deux colonnes, format 27 x 18 cm.
C’est donc un ensemble unique dans notre littérature, d’une richesse prodigieuse et qui m’a rendu des services inestimables, notamment pour la rédaction de mes œuvres (un détail amusant : pour mon anniversaire, mes parents m’avaient donné à choisir entre un train électrique et ce dictionnaire…)
L’Imitation de Jésus-Christ m’a suivi dans le caisson du torpilleur “La Baliste” et du croiseur “Georges Leygues”, lorsque je devins matelot radio de 1939 à fin 1941, mais pas le dictionnaire, trop encombrant, hélas !
Démobilisé, et ayant vécu le drame voulu par les Gaullistes à Dakar où nombre de camarades de combat trouvèrent la mort, j’en gardais les leçons de Charles Maurras : ni pro-anglais, ni pro-allemand, d’abord et seulement Français. Cela m’évita bien des erreurs mortelles et mortifères, grâce au bouclier que fut le maréchal Pétain (3) (4).
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Vint la libération et la boucherie “gaulcheviste” suivant l’expression d’un de mes amis, également ancien camelot du Roi, drame voulu auquel participèrent allègrement les démocrates-chrétiens, ces sinistres personnages pourris de haine.
Charles Maurras est arrêté par Yves Farge, faux nom d’un agent du KGB.
lnspirés par mon maître, ma future épouse et moi créons une revue antirévolutionnaire, Les Idées et les Faits.
Grâce à Georges Calzant, ancien secrétaire général des Etudiants d’Action française, l’A.F. se reconstitue clandestinement, puis reparaît sous le titre d’Aspects de la France. Je rejoins les camelots du Roi aux côtés de Joseph Gobin, un modèle de gentillesse et de courage. Et ainsi de suite, toute ma vie étant inspirée par l’Action française, jusqu’à aujourd’hui.
En rédigeant les deux premiers tomes de Présence et Actualité de Charles Maurras, je n’ai pas cherché à plonger dans sa vie privée comme de curieux “biographes” qui ont surtout voulu se faire vendre par de prétendues révélations…
La seule chose qui importe, c’est de garder le souvenir d’un homme qui, quatorze heures par jour à l’imprimerie du quotidien L’Action française, était au service de la seule France, à la recherche de l’ordre, du beau, du vrai, du juste et de la vérité religieuse qu’il atteint à l’extrême fin de sa vie, grâce à l’abbé Penon (5), puis aux sœurs du Carmel de Lisieux (6).
Nous qui l’avons connu, admiré, aimé, nous nous devons de rappeler un enseignement nécessaire à la survie de notre patrie, et nous pouvons être tranquilles puisque saint Pie X a déclaré à la mère de notre maître, lors d’une audience privée au printemps 1911 : « Je bénis son œuvre. Elle aboutira ».
Pour connaître cet homme exceptionnel, l’Altissime comme l’appelaient ces grands écrivains que furent Jacques Bainville et René Benjamin, j’ai rédigé l’histoire du grand siècle de l’Action française telle qu’elle n’a jamais été présentée, et que parfait ma présentation du poète, du politique et du philosophe dans les tomes I et II.

(1) C’est le titre du recueil des si beaux poèmes de mon père, couronné par l’Académie française en avril 1976, édité par Chiré en 1995.
(2) François Marie Algoud devait lire ce texte lors des Journées chouannes, en 2008. Il n’a, hélas, pu le faire, se trouvant, quelques jours avant la réunion, dans l’impossibilité physique de se déplacer. C’est la raison pour laquelle il nous avait demandé d’accueillir son fils Albert pour le représenter (voir page 31).
(3) A deux reprises, je pus échapper aux Allemands, grâce à un fonctionnaire bien informé.
(4) Ce que n’ont pas compris de malheureux aveugles comme Stéphane Giocanti, ou même François L’Yvonnet, hélas!
(5) Lire Dieu et le Roi, Correspondance (l883-1928) entre Charles Maurras et l’abbé Penon, présentée par Axel Tisserand, Editions Privat, 2008.
(6) Lire dans l’inégalé Maurras de Pierre Pascal, le chapitre XXV, pages 224 et suivantes. Editions de Chiré, 1986.

Extrait du n° 10 – nouvelle série de Lecture et Tradition (février 2012)

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