Autre

Défense et illustration de l’inégalité

Le mode de pensée dogmatique est pertinent dans le domaine surnaturel où les certitudes qu’il affirme sont des préceptes divins, justifiés par l’autorité de Dieu qui ne se trompe pas et qui ne nous trompe pas. Il perd sa justesse et son pouvoir de conviction quand il est utilisé par les idéologues humanistes, c’est-à-dire par les ministres du culte rendu à l’Homme-idole. Il sécrète alors les affirmations péremptoires qui sont les “dogmes” de toutes les utopies.
Le slogan révolutionnaire et républicain “Liberté, Égalité, Fraternité”, dont toute critique est malséante aux yeux des gens “convenables”, en est un spécimen typique, qu’il est intéressant d’analyser.
Le premier terme est équivoque : la liberté vraie fut un don de Dieu, fait par Lui à titre gracieux, lorsqu’Il crédita sa créature humaine de la latitude du choix, choix dont chacun aura à rendre compte ultérieurement, entre le Bien et le Mal préalablement définis par le Très Haut. La fausse liberté des jacobins francs-maçons de 1789, celle qui est incrustée sur le fronton de nos mairies, est une prétention de l’homme révolté qui s’arroge ainsi le droit de définir le Bien et le Mal, par le biais d’une “volonté générale” qui n’a de “générale” que la soumission hypnotique au pouvoir du Gros Argent, fondateur d’une corruption quasi institutionnelle, ou à celui de la coercition totalitaire. Le Gros Pognon anonyme ou la Guillotine, celle-ci parfois relayée par le peloton d’exécution, ont été, sont ou seront, tour à tour, les deux mamelles de la démocratie.

Le troisième terme aurait été respectable, pour peu que cette Fraternité fût faite de charité pour le prochain, de mansuétude pour les faibles et pour les pauvres, et de communion patriotique dans la foi en une communauté de destin. Hélas, le nombrilisme individuel, la cupidité envieuse et l’ambition démesurée, camouflés sous un altruisme abstrait, planétaire, à géométrie variable et menant à la lutte des classes ou des races, ont dévitalisé la fraternité française. Les frères français ne s’aiment plus beaucoup, ni en tant que frères, ni en tant que Français.

Quant au second terme, l’Egalité, il est une ineptie intégrale qui relève de la mythologie politique.
L’observation un peu attentive des choses physiques ou morales met en évidence la diversité dans l’univers, qui apparaît comme un entrelacement de différences. Il est quasiment impossible de trouver deux flocons de neige aux structures identiques. Le sport implique la compétition qui hiérarchise les compétiteurs. Les dissemblances d’aptitude, les “bizarreries” de caractère, les variétés de comportement, l’irrégularité des mœurs, l’hétérogénéité des morphologies, les incompatibilités entre les visions de la société, les discordances des mentalités, tout souligne les différences entre les hommes. « Il faut de tout pour faire un monde » soupiraient nos ancêtres dont la sagesse antique se nourrissait de vérités objectives mille fois constatées.
Mais la sagesse fit place à la folie quand les niveleurs, les égalitaristes, les humanitaristes “unitaristes” qui banalisent l’homme en lui refusant toute spécificité nationale, les anarcho-socialistes “altermondialistes”, les capitalistes occultes, cosmopolites, vagabonds et supranationaux, les communistes internationalistes, tous sans racines ni frontières, mûrirent leurs projets utopiques plus insensés et totalitaires les uns que les autres. Ils finirent par les imposer, au monde entier, comme objets de cultes néo-païens et s’emparèrent des pouvoirs. Aujourd’hui, toutes les grandes institutions internationales [ONU, UNESCO, FMI (contrôle des finances mondiales), Commission de Bruxelles, OMC (encadrement du commerce mondial), Trilatérale (sorte de sénat occulte qui joue le rôle de Chambre Haute Planétaire) et bien d’autres machins du même genre] sont autant de piliers d’un temple mondial voué au culte de la “sacro-sainte”, et néanmoins satanique, Égalité. Toutes se réfèrent à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, proclamée par les francs-maçons et substituée au Décalogue dicté par Dieu à Moïse. Uniformité, Conformité, Unicité, Totalité, Banalité, Laïcité, Mixité, Unanimité, Homogénéité universelle, Homosexualité sont, ou seront bientôt, les principaux repères de la rose des vents de l’histoire d’une nouvelle humanité, mêlée, mélangée et nivelée par le principe d’égalité.
Égalité abstraite d’ailleurs, simple miroir aux alouettes pour gogos désinformés, derrière lequel les super-nantis se gavent comme jamais alors que, de part le monde, jamais les déshérités n’ont autant crevé de faim qu’aujourd’hui. Les “comités de lutte contre la faim”, tous apatrides bien sûr, les mille et une ONG, toutes “sans frontières” bien sûr, les “commissions d’aide au développement”, toutes internationales bien sûr, vont d’échec en échec dans les pays décolonisés dont le sous-développement va s’aggravant. Et pas un “observateur” n’observe que les enfants africains ne mouraient pas de faim à l’époque de l’Infanterie Coloniale et des Administrateurs Coloniaux en casque blanc…. Mais ces marasmes économiques et sociaux, moraux et intellectuels, culturels et cultuels, politiques et institutionnels, dont souffrent tant de pays du tiers-monde, ne doivent-ils pas s’expliquer, peu ou prou, par on ne sait trop quelles langueurs et quelles indolences, quels abandons fatalistes causés par d’irrépressibles atavismes hérités des temps antiques ? “Tel peuple, tel destin”… ainsi irait le monde selon telles données ethniques et historiques déterminantes ? Décidément les peuples ne sont pas “égaux”…
Et n’en est-il pas ainsi, probablement, des individus, quelle que soit leur race, chacun d’eux étant le récepteur de déterminations innées, issues de ses ancêtres familiaux, dans une échelle de compétences très diversifiée, au sein d’un même peuple ?
Qui n’a pas fait son service militaire, quand existait encore ce creuset où se fondait le sens de la communauté nationale, sait peu de choses sur l’inégalité naturelle des hommes. En vingt-cinq mois de “crapahutage” en Algérie, au sein de cette société quasi monastique qu’est une armée en campagne, j’ai côtoyé bien des types humains dans une promiscuité diurne et nocturne de tous les instants. De l’ouvrier parigot, troufion du rang, finot et doué pour les langues, qui palabrait aisément en arabe avec nos harkis après quelques mois de service, en passant par le sergent “appelé” manifestant une étonnante aptitude au commandement et un sens de la tactique inattendus chez un civil en uniforme, jusqu’au sous-lieutenant “du contingent”, diplômé et instruit, mais totalement inapte tant dans ses responsabilités guerrières que dans ses relations avec les hommes placés sous ses ordres, sans oublier le simple soldat, vraiment simple voire “simplet” et “ravi de village”, que tous protégeaient par charité naturelle, j’ai fait une riche récolte d’expériences humaines. Et depuis, quand j’entends parler d’égalité, je ne peux réprimer un haussement d’épaules.
Le professeur de lycée ou de collège, par les attentions qu’il est censé prodiguer à ses élèves, serait un observateur privilégié pour découvrir la dispersion hiérarchisée des dons et des compétences humains, s’il n’était pas aveuglé par l’utopie, révolutionnaire donc égalitaire. Mais embrigadé dans son syndicat rouge ou rose et désorienté dans le brouillard idéologique de la “salle des professeurs”, où il est pris dans les rets politiques de son “ghetto” professionnel, il perd très tôt l’autonomie nécessaire à la clairvoyance. Au cours des trente et une années que j’ai passées dans l’éducation dite “nationale”, j’ai su, et j’en rends grâce à Dieu, me marginaliser assez pour conserver intacte ma vision de la condition humaine. Professeur de mathématiques, puis censeur, puis proviseur, j’ai accumulé les constats édifiants qui m’ont toujours confirmé la diversification qualitative de la pâte humaine.
Ces deux frères jumeaux, mes élèves dans une classe de seconde, fils et petits-fils de polytechniciens, dont j’avais prédit en plein “conseil de classe”, nouveau Landerneau où j’ai fomenté ainsi bien du bruit, l’entrée aisée, quatre ans plus tard, à l’École Polytechnique, à l’instar de leur père et grand-père, prédiction qui s’avéra ensuite, m’ont convaincu que « les chiens ne font généralement pas des chats » et que la génétique n’est pas une vaine science.
Cette touchante et gentille gamine de treize ans qui inspira une tragique commisération à mon collègue “matheux”, dans la circonstance que je vais vous conter, témoigne involontairement de l’abîme qui sépare certains niveaux intellectuels. Ce jour-là, ce professeur dessinait au tableau, mural donc vertical, un cercle et une droite tangente à ce cercle, en un point de contact situé quelque part sur la partie droite du cercle, quand la gamine, très attentive, leva le doigt pour intervenir. Elle avait à dire ceci : « Monsieur, ce n’est pas possible ; elle va tomber par terre, la tangente ! » Et mon collègue réalisa tristement que, pour elle, la droite tangente ne pouvait être que l’image d’un objet matériel doté d’une existence pratique, d’une épaisseur, d’une masse, donc soumis à la loi de la pesanteur. À treize ans, et après deux ou trois années d’étude de la géométrie, elle n’avait pas pu atteindre le niveau d’abstraction nécessaire pour concevoir un point sans dimension, une droite sans largeur, un être géométrique sans substance matérielle.
La comparaison de mes deux lascars futurs polytechniciens et de la gamine handicapée impose une conclusion, inadmissible pour certains intoxiqués : les hommes ne sont pas égaux !
Une fois libéré de l’obligation égalitaire, imposée par la “morale” démocratique, on saisit mieux la vision que nos ancêtres avaient de la société. Les hommes n’étant pas considérés comme équivalents et interchangeables, il semblait alors raisonnable de laisser les meilleurs exercer les pouvoirs. Ce fut la définition de l’aristocratie (du grec aristos = excellent et kratos = pouvoir). La distinction, c’est-à-dire le souci de la différence positive, fut pendant des siècles le but et le moyen de l’élévation sociale. Cette recherche de l’excellence et sa transmission au fil des générations eut indéniablement des effets bénéfiques sur les institutions et les mœurs de l’ancienne France. L’amélioration, l’affinement des lignées dirigeantes et des « âmes bien nées dont la valeur n’attend pas le nombre des années », statistiquement parlant, malgré quelques exceptions, élevèrent le niveau intellectuel et moral des autorités royales, seigneuriales, militaires, juridiques, industrieuses, rurales ou ecclésiastiques. Les noblesses “d’épée”, “de robe”, “de soutane”, celle des hobereaux campagnards et celle issue, par ennoblissement différé, des corporations artisanales, constituaient un vivier humain, sélectif et enraciné dans de vénérables traditions, dans lequel le pouvoir royal puisait le haut encadrement du “service du Roi”. D’autres noblesses, d’origine roturière, pourraient naître aujourd’hui et seraient tout aussi bénéfiques.
Mais tout ce système fut détruit par la révolution égalitaire de 1789. Depuis tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, tout le monde il est honnête, tout le monde il est intelligent. Et nous vivons aujourd’hui les derniers avatars, en date, de la démocratie : un certain Mitterrand, aux mœurs discutées par beaucoup, est ministre de la “culture” ; un certain Tapie, aux “affaires” floues semble-t-il, fut ministre de quelque chose ; un certain Strauss-Kahn, aux élans incontrôlés dit-on, fut près d’être chef de l’État ; un certain Chirac, président retraité, fut traduit en justice ; et hier un certain Le Troquer, président de l’Assemblée nationale, fut confondu pour son goût pour les “ballets bleus” ; et avant-hier le gendre d’un président de la république vendait des Légions dites d’ “Honneur” ; et avant-avant-hier la quasi-totalité de la représentation parlementaire était faite de “chéquards” impliqués dans le scandale du canal de Panama… et encore, et encore, dans une suite sans fin. L’Égalité a ouvert les allées du pouvoir à la lie de la société.
Ces réflexions n’expriment pas une nostalgie vaine. Tout peut être rétabli en quelques décennies. Simplement, quand on aime son pays et lorsque celui-ci est la France, âgée de quinze siècles, avec son passé prestigieux, son rayonnement perdu, sa prédominance oubliée, sa puissance disparue, et son brillant génie désormais terni, cette France-là qui avait su se doter d’une élite traditionnelle filtrée lentement et mûrie avec soin, alors on souhaite revenir aux recettes politiques anciennes et aux mœurs sociales d’autrefois.
Gilles SIBILLAT

Extrait du n° 9 – nouvelle série de Lecture et Tradition (janvier 2012)

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