Nos propos sont destinés à la formation des enfants confiés à nos écoles catholiques ; les écoles laïques ou « sous contrat » sont hélas, depuis des décennies, aux antipodes de l’éducation. Tournons-nous vers ceux qui ont encore l’idéal d’éduquer.
Plusieurs auteurs depuis 150 ans se sont préoccupés vigoureusement de cette question : quels textes pour apprendre le latin et le grec, quelle littérature étudier ? Ces auteurs ont été méprisés puis oubliés. La préoccupation n’est pas banale, elle fait appel, tant à l’étude intrinsèque des œuvres proposées qu’à l’analyse de l’histoire qui a produit ces œuvres. Toute société, toute époque, reflète l’éducation qui l’a fait naître par son art, sa pensée, son architecture, sa forme politique.
Plusieurs auteurs depuis 150 ans se sont préoccupés vigoureusement de cette question : quels textes pour apprendre le latin et le grec, quelle littérature étudier ? Ces auteurs ont été méprisés puis oubliés. La préoccupation n’est pas banale, elle fait appel, tant à l’étude intrinsèque des œuvres proposées qu’à l’analyse de l’histoire qui a produit ces œuvres. Toute société, toute époque, reflète l’éducation qui l’a fait naître par son art, sa pensée, son architecture, sa forme politique.
Mgr Gaume, dans des ouvrages fameux, Le ver rongeur (1850) et Pie IX et les études classiques, fournit une étude fouillée sur la longue influence de la Renaissance du XVᵉ siècle : « Depuis le XVᵉ siècle, vous coulez vos enfants dans un moule païen, et vous vous étonnez de n’en pas retirer des chrétiens ! Ecoutez votre histoire… Que fut la Renaissance ?… On n’eut plus de goût que pour les livres de l’Antiquité… Virgile avait pris la place de l’Ecriture, Cicéron remplaçait saint Paul et saint Augustin…
Au XVIIe siècle, nos plus grands poètes, Corneille et Racine, replacèrent sur la scène… les principales pièces du théâtre païen… Les Horaces et les Curiaces, César, Britannicus, Iphigénie, que sais-je ? Tout le monde païen, terrestre et olympique, vint étaler aux regards d’un peuple chrétien des sentiments, des idées, des affections en dehors de la nature et de nos mœurs, et complètement opposés aux enseignements de notre religion… Pendant le XVIIIe siècle, le théâtre continua d’exploiter la mine du paganisme. Quand la mine fut épuisée ou que le talent fit défaut, on composa… des vaudevilles, des mélodrames… Bientôt la forme fut elle-même négligée… de chute en chute sont arrivées certaines productions… des feuilletonistes… ils en sont là ! »
Mgr Gaume lutta contre la prétention que seuls les auteurs païens avaient manié leur langue (grec ou latin) avec splendeur. Il tint à magnifier l’amélioration de ces langues par leur christianisation, grâce aux nombreux pères de l’Eglise qui écrivirent des merveilles en embellissant, en enrichissant le grec et le latin. Il montre l’amélioration du fond (ce n’est pas difficile), du vocabulaire, de la syntaxe. « … la langue latine chrétienne est sans comparaison possible, plus riche que la langue latine païenne… l’humanité chrétienne possède des trésors de vérité que le paganisme ne connut jamais… la langue latine chrétienne a créé une riche nomenclature de mots nouveaux… » Mgr Gaume démonte point par point les objections qui lui sont jetées à la figure par les tenants du latin païen : « C’est avec un superbe dédain que les humanistes de la Renaissance, laïques, prêtres et religieux, traitent la langue latine chrétienne… parce que, disent-ils, elle a des mots inconnus des bons auteurs, elle emploie des tournures nouvelles, elle ne possède ni la cadence poétique, ni la rotondité des périodes… qu’on trouve dans les auteurs païens… ». Toutes les réponses pertinentes à ces objections forment son chapitre XIII de Pie IX et les études classiques. C’est un travail colossal d’érudition.
Le pape Pie IX rédigea sur la question des études littéraires deux documents: l’encyclique Inter multiplices, puis un Bref (1874) personnel adressé à Mgr Gaume. Les catholiques libéraux voulurent les édulcorer et les oublier. Mgr Gaume écrivit alors : « c’est un fait notoire, l’importante encyclique de 1853 est restée lettre morte dans presque tous les établissements d’éducation… à aucun prix, on ne voulait entendre dire que tout ce que nos pères ont fait, n’était pas bien fait… malgré les alarmes les mieux fondées… on soutenait avec passion qu’il n’y avait pas un iota à changer dans la manière d’élever la jeunesse. » (chap. IV et V).
Léon Gautier (1894), ancien directeur de l’école des Chartes, dans La littérature catholique et nationale, appuie les positions de Mgr Gaume, s’enthousiasme pour la Chanson de Roland, s’apitoie sur Chateaubriand : « Chateaubriand, fit de… pénibles efforts pour… commenter l’Apocalypse… inventer de nouveaux anges… décrire un Paradis… parfois peu théologique, et, après tant d’imaginations laborieuses, arriver seulement à induire en bâillements les plus héroïques de ses lecteurs. »
Le chanoine Georges Bontoux dans Louis Veuillot et les mauvais maîtres, explique que c’est à trois chefs que l’on peut ramener les accusations contre Molière :
– Sa servilité à flatter les passions de Louis XIV
– Sa fourberie dans sa satire de la fausse dévotion
– Sa caricature du « dévot de cour »
Dans le même ouvrage, le chanoine Bontoux rassemble, avec talent et perspicacité, les dénonciations de Louis Veuillot contre tant et tant de mauvais auteurs, du XVIe au XXe siècle, qui tous figurent, programme oblige, dans la liste des études infligées à nos pauvres enfants depuis des lustres. Voici quelques-uns des mauvais maîtres : Rabelais, Montaigne, Shakespeare, Voltaire, Rousseau, Victor Hugo, Musset, Lamartine, Michelet, Guizot, Thiers, Sue.
– Sa servilité à flatter les passions de Louis XIV
– Sa fourberie dans sa satire de la fausse dévotion
– Sa caricature du « dévot de cour »
Dans le même ouvrage, le chanoine Bontoux rassemble, avec talent et perspicacité, les dénonciations de Louis Veuillot contre tant et tant de mauvais auteurs, du XVIe au XXe siècle, qui tous figurent, programme oblige, dans la liste des études infligées à nos pauvres enfants depuis des lustres. Voici quelques-uns des mauvais maîtres : Rabelais, Montaigne, Shakespeare, Voltaire, Rousseau, Victor Hugo, Musset, Lamartine, Michelet, Guizot, Thiers, Sue.
Corneille se fit un devoir de copier l’esprit antique. Il s’en explique dans son Discours du poème dramatique : « Ce n’est pas qu’on puisse faire une tragédie d’un sujet purement vraisemblable… mais les grands sujets qui remuent fortement les passions… doivent toujours aller au-delà du vraisemblable… Il n’est pas vraisemblable que Médée tue ses enfants, que Clytemnestre assassine son mari, qu’Oreste poignarde sa mère… » Il faut dire que la cour de Louis XIV, débauchée par l’oisiveté et la promiscuité, attendait des tragédies qui correspondissent à ses mœurs. Il est bien douloureux de penser que ces crimes abominables sont depuis des générations et des générations, étudiés par de jeunes élèves qui apprennent ainsi ce qu’on peut devenir adulte, peut-être ! Quel exemple ! Seul un adulte bien vertueux peut, à la rigueur, goûter les subtilités de ces imbroglios dramatiques, vicieux et sentimentaux… Pour un jeune de 15 ans, n’est-ce pas monter les cloisons avant d’avoir posé la fondation. A quoi bon remuer la vase de l’imagination. Qu’en reste-t-il d’ailleurs, hormis un vernis bien inutile ? On ferait un si grand profit des commentaires des pères de l’Eglise sur les grandes figures de Notre Seigneur dans l’ancien testament. Pourquoi l’héroïcité des vertus, les beautés et les forces qui se dégagent des grandes œuvres de la civilisation chrétienne n’attirent-t-elles pas plus les éducateurs catholiques ? Pourquoi les familles catholiques jaugent-elles de l’éducation littéraire sur Corneille, La Fontaine et consort ? Le Bon Dieu nous donne le temps pour contempler et vivre de la vertu, non pour réfléchir sur les imbroglios de la misère humaine.
N’est-ce pas le cri de saint Augustin dans ses Confessions : « Malheur à toi, fleuve de la coutume ! Qui te résistera ?… Ne m’as-tu pas fait lire que Jupiter est à la fois tonnant et adultère ?… Et pourtant, ô fleuve infernal, on précipite dans tes eaux les fils des hommes : on paye pour qu’ils apprennent ces choses… On me présenta l’écriture sainte… Mon orgueil en méprisait la simplicité … Il était fait pour grandir avec les petits mais je dédaignais d’être petit et plein de vaniteuse enflure, je me croyais grand. »
Henri Charlier dans Création de la France, écrivait en 1960 : « Il ne faut pas croire qu’Augustin était le seul à penser ainsi ; après plus de trois siècles d’un christianisme héroïque, l’éducation romaine avait si bien informé l’esprit des chrétiens eux-mêmes qu’ils avaient complètement perdu le goût de la simplicité… Saint Jérôme rapporte dans sa XXIIe lettre que dans un songe il se vit transporté au tribunal de Dieu : « Interrogé sur ma profession de foi, je répondis que j’étais chrétien. Alors celui qui présidait : Tu mens, tu es cicéronien et non chrétien, là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. Depuis lors j’ai donné aux livres divins le soin que je mettais à lire ceux des hommes. »
Louis Veuillot, posant en principe que la « perfection d’une comédie n’est pas tout entière dans l’agrément du style et dans la durée du succès », indique ce que réclament « l’art et la raison » : « Ils exigent que le poète rassemble des caractères variés dans une action prompte qui ne s’écarte pas de la ressemblance et qui laisse au spectateur une utile leçon… À moins d’être un amusement puéril et indigne de la grandeur de l’esprit humain, le poème dramatique doit offrir un abrégé de la vie humaine ; il doit se terminer toujours comme elle se terminera, par cet acte de discernement suprême, où d’accord avec le juge et avec les témoins, le méchant, non seulement châtié, mais encore convaincu, confessera qu’il s’est volontairement, et au mépris de sa conscience, engagé dans l’abîme. La morale le veut ainsi, car elle ne peut se séparer de la vérité ; l’art le veut également, car le beau, ce seul but de l’art, n’est la splendeur du vrai que parce qu’il en est l’évidence. »
Veuillot, féroce lutteur contre le conformisme, ne s’en laissa pas compter, le voici dans Ça et là : « Je ne crains pas que l’on m’ahonte en m’opposant à moi-même le peu que je vaux. Je connais ma faiblesse. Si je n’aimais la vérité, je me condamnerais au silence… lorsque ces chefs d’œuvre n’ont pas la marque du vrai : je les tiens alors pour des travaux de fous ingénieux ou de traitres, et tout le succès qu’ils peuvent obtenir ne diminue rien à mon dédain. »
L’abbé Jean-Baptiste Aubry, dans Mélanges de philosophie catholique (1895), s’étonne: « La question des classiques … Un fait est certain, c’est que ce qu’on donne le moins à l’âme de nos enfants, même dans l’éducation faite par des prêtres … c’est l’aliment chrétien. Semen… verbum Dei. »
Adrien Loubier fit paraître en 2001, une excellente Introduction à une étude catholique de la littérature française. Nous le remercions pour son travail si généreux au service de la Tradition depuis 40 ans. Il cite Monsieur Petit qui en 1876 écrivait dans sa revue de l’enseignement chrétien les lignes suivantes : « Nous nous sommes plusieurs fois demandé, dans les pages de la Revue, quel était le fond de l’enseignement classique. Nous répondions : la routine, le lieu commun, le vide, le faux, le ridicule…. Pour le Français, il faut convenir que le XVIIe siècle le parla et l’écrivit magnifiquement. Mais avec sa belle langue, et avec le grand nombre de ses écrivains, il nous fit une littérature qui n’est ni française, ni chrétienne. A peu près tout ce que nous réputons chef d’œuvre est païen pour le fond… Cette littérature solennelle, pour ne pas dire guindée, sévère sur les principes de la forme,… qui rejetait tout le côté charmant et doux de la religion catholique… un grand nombre de ses miracles, son surnaturalisme… La littérature du XVIIe avec sa forme païenne et pompeuse conduisait à la littérature élégante et impie du XVIIIe. »
Le temps ne nous permet pas d’allonger ce travail qui nécessiterait un ample développement. Si nous comprenons l’enjeu des dérives philosophiques qui ont mené le monde au chaos de Vatican II et au détrônement de Notre Seigneur Jésus-Christ sur les sociétés, nous ne pouvons pas nous suffire d’un vernis intellectuel léger et mondain. A quoi nous sert de connaître les tirades du Cid si nous ne vivons pas de l’Imitation de Jésus-Christ et que Saint François de Sales nous est plus étranger que La Fontaine ? Il reste à supplier nos écoles de cesser de s’éterniser dans l’étude des sempiternels auteurs du XVIIe siècle puis des romantiques puis des lamentables jouisseurs, marxistes, et autres existentialistes du XXe. Nos jeunes passent le plus clair de leurs heures de français à écouter les commentaires, contrôlés et protecteurs, d’œuvres insipides, malsaines, indécentes, épouvantables. Relisons les analyses de Mgr Gaume et Veuillot et nous nous attarderons beaucoup moins sur tant d’auteurs honorés par un conformisme dont il faut démasquer l’origine. Nos écoles disent trop peu les réserves que l’on doit faire des auteurs réputés classiques. Que les mauvais auteurs qui forment le fond de terrain du baccalauréat soient étudiés par des fiches très succinctes et bien ciblées permettant de dispenser nos enfants de longues heures, sinon malsaines du moins perdues. Qu’ils se nourrissent longuement des Pères et des auteurs catholiques délaissés injustement. Nous aurons alors de vrais cours catholiques de français, latin et grec.
La Renaissance, fruit d’influences judéo-gnostiques, fut une punition de l’Occident chrétien avachi par la médiocrité des élites politiques et religieuses. Comme au temps des hébreux, Dieu se servit de nouveaux Amalécites pour châtier les ingrats. Il serait trop long de montrer ici l’enchaînement d’évènements, qui de Philippe le Bel à Charles VIII, ponctuèrent la négation de la Royauté sociale de Notre Seigneur. Celle-ci avait atteint un sommet admirable sous saint Louis. La logique du mal saute aux yeux entre l’attitude d’un Philippe le Bel, l’exil des papes à Avignon, le Grand schisme d’Occident, le concile de Bâle, la Pragmatique Sanction de Charles VII. Boniface VIII offrit sa vie mais la racine du mal ne fut pas éradiquée. L’Occident perdit de vue le règne social de Notre Seigneur.
Comme un fruit mûr, la Renaissance tomba en Italie au centre névralgique de la chrétienté, au temps du déplorable pape Alexandre VI Borgia (Savonarole prédit une punition). Cette fange gangréna la fille aînée de l’Eglise par la légèreté de Charles VIII, plus préoccupé de ses droits sur Naples que du gouvernement de la France. Cette dynastie frappée de mort, la suivante récidiva. La légèreté de François Ier, jaloux de Charles Quint, inaugura la honteuse lutte contre les Habsbourg, qui profita au protestantisme. Telle est la terrible fresque des faits qui firent rouler l’Occident dans la fange : Renaissance, Huguenots, Jacobins, Romantiques (sentimentalisme exacerbé), Socialistes. Nous n’en sommes pas guéris ! Dans sa miséricorde, Dieu nous offrit au XIXe siècle des hommes admirables. Dom Guéranger restaura le chant grégorien, Léon XIII remit saint Thomas d’Aquin à l’honneur. Les encycliques et les auteurs anti-libéraux démasquèrent les sophismes. Puis saint Pie X engagea la lutte contre le modernisme et Monseigneur Lefebvre restaura la messe et le sacerdoce. L’arsenal est complet. Ne le dédaignons pas. Nous avons à notre tour (oui, c’est notre tour !) à transmettre : une jeunesse nombreuse attend une éducation virile et solide. Voulons-nous la lancer dans la restauration de « la civilisation qui n’est plus à inventer » (St Pie X) ou en faire des conformistes médiocres ?
Nous avons tous les outils pour lire, méditer, comprendre, travailler, préparer et enfin offrir à notre jeunesse le splendide trésor de vingt siècles de christianisme. Aurons-nous les hommes d’élite pour le travail à fournir (programmes, manuels … le travail à fournir est immense) ? Puissions-nous ne pas laisser passer une si haute mission pour la gloire de Dieu et le bonheur éternel des âmes.
Etienne BROWAEYS
Extrait du n° 7 – nouvelle série de Lecture et Tradition (novembre 2011)