PREAMBULE :
Si l’année 1920 fut celle de la canonisation de Jeanne la Pucelle et celle de Marguerite-Marie, elle fut aussi celle d’un décret politique du Saint-Siège déclarant « probari non posse » (1) « les faits de Loublande », comme l’avoua, en 1925, le cardinal Merry del Val, pro-préfet du Saint-Office sous Pie XI, en recevant Claire au Vatican: « Non, mon enfant, vous n’êtes pas condamnée. La politique s’en est mêlée » (2). Pourquoi ? Sinon parce que la question du « drapeau du Sacré-Cœur », soulevée à nouveau par Claire Ferchaud durant la guerre de 14-18, avait posé des problèmes aux relations diplomatiques qu’il convenait de rétablir malgré la Loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat promulguée unilatéralement par la IIIᵉ République en 1905.
L’année 1920 fut donc l’amorce de la réouverture d’ambassade et de nonciature dans le prolongement de « l’Union Sacrée », tout-à-fait artificielle, qu’on prétendait issue des tranchées, mais qui, en réalité, s’avéra un compromis empêchant la France de redevenir la fille aînée de l’Eglise. En effet, si Jeanne était portée sur les autels et se voyait honorée d’une fête annuelle par la République, la canonisation de Marguerite-Marie fut plus discrète et le coup d’arrêt asséné à Claire, de son vivant, sans que son nom eut été prononcé ni mentionné dans le décret, favorisait un modus vivendi entre la laïcité et la religion, aux dépens du règne du Christ sur la France et, par extension, sur les nations. En bref, le laïcisme se déguisait en laïcité et la foi se libéralisait, tandis que le Seigneur, qui vomit les tièdes, avait dit : « Je régnerai malgré mes ennemis ».
QUAND CLAIRE FERCHAUD ÉVOQUE LES JUIFS
Le préambule ci-dessus n’aurait rien à voir avec le titre de cet article, si, parmi les bienfaits qu’aurait entraînés l’acceptation officielle du drapeau du Sacré-Cœur par la France, Claire n’avait évoqué les Juifs dans une lettre adressée le 26 octobre 1930 au R.P. Lemius, recteur de la basilique de Montmartre : « La France à genoux (c’est-à-dire revenue à Dieu), par des prières et des pénitences publiques, faisait réparation du passé, à la stupéfaction du monde entier, notamment des Juifs, saisis de ce miracle » (3). Pour la bergère vendéenne, il est clair que la conversion des Juifs à la religion catholique dépend de l’acte de foi demandé par le Sacré-Cœur à la France et non du retour des Juifs en Palestine, surtout tel qu’il s’est produit depuis 1948 et avant. Elle s’oppose, par conséquent, à ceux qui, Juifs ou non, voient dans la reconstitution de l’Etat d’Israël une réalisation prophétique inscrite dans Ezéchiel ou saint Paul. D’autant qu’ Ezéchiel a été revu et corrigé par les Sages talmudistes et que l’Apôtre évoque la conversion de son peuple, sans plus.
La controverse sur cette question ne date pas d’aujourd’hui. En 1920, elle reprenait de plus belle et l’on pouvait remarquer, par exemple, que la position du cardinal Billot, théologien proche de l’Action Française, n’était pas la même que celle d’un de ses fondateurs, l’historien et homme de lettres Jacques Bainville.
LA POSITION DU CARDINAL BILLOT
Dans son ouvrage sur « La Parousie », comme le faisait remarquer un écrivain millénariste (4), le cardinal Billot considérait le retour des Juifs qui se manifestait déjà en Palestine « comme un signe manifeste de la fin des temps », « non pas encore, bien entendu, à considérer l’événement en lui-même, écrivait le cardinal , mais à l’envisager du moins dans sa condition préalable et son prélude obligé, qui est le rétablissement du royaume d’Israël; autrement dit, la reconstitution des Israélites, disséminés maintenant sur toute la surface de la terre, en corps de nation. Car il est visible que leur conversion en masse ne sera réalisable que quand aura cessé leur état d’émiettement aux quatre vents du ciel; il est de toute évidence que ce retour, cette résipiscence, cette reconnaissance en commun du véritable Messie si longtemps méconnu qu’annoncent les prophéties, supposera chez eux un changement politique qui leur aura rendu leur unité et leur cohésion d’autrefois » (p. 347).
Le cardinal, qui s’était opposé au drapeau du Sacré-Cœur durant la Grande Guerre (5) – drapeau symbolisant le règne du Christ dans les cœurs, les lois et les institutions –, voyait par contre d’un bon œil le retour des Juifs en Palestine, car il préfigurait, selon lui, leur conversion et permettrait (la phrase est très ambigüe) « la reconnaissance en commun du véritable Messie si longtemps méconnu ». Il aurait dû préciser : « si longtemps méconnu par eux ». De plus, emporté par son rêve messianique, le prélat faisait l’impasse sur les réalités que Jacques Bainville, quant à lui, mentionnait en lisant la presse catholique qui, à l’époque, n’avait pas encore viré de bord.
LA POSITION DE JACQUES BAINVILLE
Voici donc, grâce à M. Maurice Journet, qui fut pour moi un camarade de combat en Algérie et que je remercie ici vivement (6), ce qu’écrivait le célèbre historien, dans L’Action Française du 20 décembre 1920, sous le titre « Les effets du sionisme » :
« L’Osservatore Romano et la Semaine religieuse de Paris ont récemment publié un ensemble de documents sur la situation en Palestine. Le sionisme, soutenu par le cabinet de Londres, y apparaît comme une aventure, alarmante à tous les points de vue. Déjà les incidents ont été nombreux. Ils sont d’abord, bien entendu, de nature religieuse. Le sionisme, aux Lieux Saints, n’a pas l’impartialité des Turcs. Il traite en intrus les représentants des communions chrétiennes. Le haut-commissaire britannique, sir Herbert Samuel, se comporte comme un chef plus religieux que politique. Le “prince d’Israël” – ainsi l’ont surnommé ses coreligionnaires – va prier, le jour du sabbat, à la grande synagogue, acclamé par la population juive de Jérusalem. En revanche, le Saint-Sépulcre est un lieu qui lui fait horreur. Au mois de juillet dernier, visitant la basilique, sir Herbert Samuel refusa d’entrer dans le sanctuaire du tombeau. Cette insulte aux chrétiens fut relevée. Le synode des Grecs orthodoxes déposa sur-le-champ le patriarche Damianos en lui reprochant de n’avoir reçu le haut-commissaire que pour essuyer cet affront.
« Un tel incident mérite une attention sérieuse. Il montre à quelles rivalités confessionnelles, susceptibles de dégénérer en luttes plus graves, le sionisme doit conduire. On regrette déjà les Turcs, « le seul peuple tolérant », disait Lamartine qui, dans son Voyage en Orient, se demandait avec son génie divinatoire, ce que deviendraient les Lieux Saints lorsque leurs gardiens flegmatiques n’y seraient plus.
« Le sionisme allumera sans doute en Palestine une hideuse guerre de religion: encore un de ces progrès à rebours que les traités auront valu au genre humain. L’Osservatore Romano signale, parmi les immigrants juifs qui arrivent en nombre, des fanatiques qui parlent de détruire les reliques chrétiennes. Ce n’est pas tout. Avec la guerre religieuse, le sionisme apporte la guerre sociale. Les juifs venus de Pologne, de Russie, de Roumanie, réclament un partage des terres et l’expulsion des indigènes. M. Nathan Strauss, le milliardaire américain, dit crûment que “les musulmans trouveront d’autres régions pour vivre”. Admirable moyen de réunir, en Asie Mineure et même plus loin, tout l’Islam contre l’Occident.
« Il semble qu’en autorisant et en protégeant des expériences aussi dangereuses le gouvernement britannique perde la tête. La proscription du français en Palestine (Sir Herbert Samuel ne reçoit plus aucune réclamation dans notre langue) est-elle un avantage suffisant pour compenser l’irritation et le soulèvement du monde islamique ? Le lieutenant Jabotinsky, l’organisateur de la Légion juive, emprisonné par le général Allenby et libéré par le haut-commissaire, déclarait récemment au Times : “Le gouvernement juif en Palestine sera le symbole de la coopération anglo-israélite et un centre d’influence pour les sentiments favorables aux intérêts britanniques parmi tous les israélites répandus dans l’univers”. Assurément, il y a cette idée dans la politique sioniste du cabinet de Londres. Quel plat de lentilles, si l’on songe à l’immense dommage qui résultera pour l’Angleterre de l’hostilité des peuples musulmans ! Les Grecs à Smyrne, les Juifs à Jérusalem : on a rarement, et avec autant d’imprudence, préparé plus vaste incendie ! »
CONCLUSION
A part la supposée « tolérance des Turcs » et « l’ingérence grecque », cet article n’est-il pas plus prophétique que les prétendues prophéties sur le retour des Juifs en Palestine? En relevant les sentiments antichrétiens qui présidaient à la reconstitution de l’Etat d’Israël, Jacques Bainville montrait qu’il s’agissait avant tout d’une guerre à Jésus-Christ, mais qu’en même temps le sionisme se heurterait à l’islam, principalement installé à Jérusalem depuis le VIe siècle. Il reprochait donc au gouvernement britannique et à la finance américaine, qui appuyaient le sionisme, de créer les conditions « d’un vaste incendie », c’est-à-dire d’une guerre mondiale, dont nous n’avons pas encore connu les effets, mais qui, depuis celle de 39-45 et la création effective de l’Etat juif en 1948, s’annonce désormais terrifiante en raison des conflits et des haines qui se sont accumulés, des progrès des armements et, notamment, de la prolifération des armes nucléaires.
Ainsi donc le rêve messianique du cardinal Billot est contredit par le réalisme de Jacques Bainville. La conversion des Juifs est une chose, leur retour en Palestine en est une autre, surtout avec les sentiments qui les animent. La Shoah ne peut justifier ce qui se passe à Gaza, ni les persécutions des chrétiens pris entre les deux feux. On peut se convertir n’importe où. Ce retour est trop fait de main d’homme pour être considéré comme un fruit de la grâce. Pour notre part, tournons-nous vers le Sacré-Cœur et ses promesses à la France. Prions pour la conversion des Juifs et des Musulmans, et pour notre propre sanctification. C’est de notre retour à Dieu que dépend finalement leur salut.
Claude MOUTON-RAIMBAULT
NDLR : Cet article qui aurait dû paraître en 2009, n’a pas perdu de son actualité. La situation, depuis, n’a fait que s’envenimer comme on peut le constater chaque jour avec la démarche des Palestiniens à l’ONU pour être reconnus en tant qu’Etat, le refus catégorique et provocateur d’Israël, le flottement d’Obama qui dit tout et le contraire de tout, les rodomontades d’une Europe divisée, le « printemps arabe » qui n’a pas encore montré son vrai visage et l’Iran des Ayatollahs qui ont su se faire oublier tout en continuant à fabriquer leur bombe…
(1) Certains traduisent : « ne peuvent être prouvés », d’autres : « ne peuvent être approuvés ».
(2) Le R.P. Albert Hus, ancien supérieur des Montfortains, qui fut le bon Samaritain de Loublande durant 37ans, estimait « inexplicable » que deux ans après le décret, le pape Benoît XV ait voulu voir Claire. L’audience était fixée au 1er février 1922, mais le Saint-Père mourait quasi subitement le 22 janvier ! (Voir Hommage au bon Père Hus, page 72).
(2) Le R.P. Albert Hus, ancien supérieur des Montfortains, qui fut le bon Samaritain de Loublande durant 37ans, estimait « inexplicable » que deux ans après le décret, le pape Benoît XV ait voulu voir Claire. L’audience était fixée au 1er février 1922, mais le Saint-Père mourait quasi subitement le 22 janvier ! (Voir Hommage au bon Père Hus, page 72).
(3) Voir A Loublande, le Sacré-Cœur et Claire Ferchaud, Ed. Saint-Michel, page 27.
(4) Lecture et Tradition, n° 373-374, mars-avril 2008, page 59.
(5) Au plus fort de la tourmente, Claire Ferchaud durant la Grande Guerre (Ed. Résiac, page 40).
(4) Lecture et Tradition, n° 373-374, mars-avril 2008, page 59.
(5) Au plus fort de la tourmente, Claire Ferchaud durant la Grande Guerre (Ed. Résiac, page 40).
(6) Œuvres de Maurice Journet : La Cité qui tourne, poèmes, Ed. Godefroy de Bouillon.
Extrait du numéro 6 – nouvelle série – (octobre 2011) de Lecture et Tradition
Voir le sommaire du numéro
Commander ce numéro