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La bataille de Verdun : 300 jours en enfer (février-décembre 1916)

Nous commémorons cette année le centenaire de cette gigantesque ordalie qui mit aux prises les deux meilleures armées de l’époque. Je voudrais à travers ces quelques lignes rendre un hommage appuyé aux combattants des deux camps. Il nous est difficile d’imaginer aujourd’hui – engoncés que nous sommes dans notre petit confort bourgeois – ce que furent la somme des souffrances endurées par les poilus, les prodiges de valeur montrés sur le champ de bataille, l’abnégation magnifique et le sacrifice suprême pour beaucoup. Nous serions bien inspirés, par les temps difficiles que nous vivons et alors que les nuages s’amoncellent au dessus de nos têtes, de retrouver les antiques vertus guerrières de nos ancêtres. Sans prétendre à l’exhaustivité dans le cadre de cet article, je raconterai d’abord sommairement ce que fut cette bataille, puis j’évoquerai quelques mythes et questions encore débattus aujourd’hui par les historiens et pas toujours connus du grand public ; je terminerai par quelques conseils de lecture.

PREMIÈRE PARTIE : LA BATAILLE

Le contexte général

Hiver 1916. Le conflit dure depuis 2 ans. Les espoirs et les illusions d’une guerre courte se sont envolés après l’échec de la guerre de mouvement en 1914. Le front ouest s’est stabilisé sur une ligne qui court en France de la Mer du Nord aux Vosges et les combattants se sont enterrés dans les tranchées, inaugurant la guerre de position. La situation est complètement bloquée, les belligérants sont dans l’impasse.

Le contexte particulier

Les raisons du choix de Verdun pour une offensive allemande d’envergure :

Asphyxiés progressivement par le blocus économique des Alliés et menacés d’une entrée en guerre des États-Unis aux côtés de l’entente, les Allemands savent que le temps joue contre eux et veulent en finir rapidement en frappant un grand coup qui permettrait – sinon de mettre un terme à la guerre – du moins négocier un armistice ou une paix en position de force. Pour cela, ils décident, dans le plus grand secret, de monter une offensive gigantesque dans l’espoir de crever enfin le front et de retrouver une liberté de mouvement qui les mènerait peut-être jusqu’à Paris. C’est le secteur de Verdun qui est finalement choisi et ce, pour plusieurs raisons :

1. Stratégiques : Verdun est un couloir naturel d’invasion depuis l’Antiquité. Position fortifiée et bien défendue (en principe), elle barre les plaines de Champagne à toute invasion. Sa chute ouvrirait la voie vers Paris. De plus, Verdun est isolée au milieu du front allemand dans lequel elle forme un saillant, son ravitaillement par les Français sera difficile car les rares routes d’accès sont sous le feu des canons allemands.

2. Tactiques : les Allemands ont appris fin 1915 que les forts qui protègent la place de Verdun ont été désarmés. C’est le moment d’en profiter.

3. Logistiques : le réseau des voies de communications allemand est bien organisé, celui des Français inexistant.

4. Psychologiques et dynastiques : historiquement, Verdun est la ville où fut signé le fameux traité de 843 qui partageait l’Empire entre les petits-fils de Charlemagne. Les Prussiens y remportèrent des victoires en 1792 et en 1870 et occupèrent la cité. Le Kronprinz en personne, le fils du Kaiser Guillaume II et héritier de la couronne, commandera la 5èmearmée allemande. Une victoire renforcera le prestige de la dynastie Hohenzollern et portera un coup terrible au moral des Français.

Préparatifs de la bataille

Ils débutent dès Noël 1915 dans le plus grand secret. Les longues nuits d’hiver et les espaces boisés permettent l’acheminement et l’installation dans la plus grande discrétion de centaines de pièces d’artillerie de tous calibres (environ 1200). Un intense trafic ferroviaire permet d’acheminer à pied d’œuvre hommes et matériel, 10 divisions sont ainsi massées sur un front réduit. En face, les Français n’ont que 3 divisions et 650 canons. Malgré leurs précautions, les Allemands ne peuvent totalement occulter les déplacements d’une troupe si importante et les observateurs et espions français ont vite fait de renseigner l’état-major. De plus, ces informations sont vite corroborées par des déserteurs alsaciens. Pourtant, aussi incroyable que cela puisse paraître, le commandant en chef des armées françaises – le général Joffre – n’y croit pas. Il faut dire qu’il n’est préoccupé que par sa propre offensive qu’il prépare sur la Somme. Cette erreur d’appréciation, une de plus, va se payer au prix fort…

La bataille de Verdun

1re phase : l’offensive allemande

Le 21 février 1916 à l’aube, l’enfer se déchaîne sur les lignes françaises. 1200 canons écrasent les tranchées sous un déluge de fer et de feu, c’est le fameux « trommelfeuer » allemand. Le bombardement va durer 9 heures et annihiler totalement la première ligne de défense qui disparaît littéralement du paysage. A 16 h, l’infanterie allemande monte à l’assaut, l’arme à la bretelle ! Le terrain est pulvérisé et les soldats ne s’attendent pas à beaucoup d’opposition. Les premières lignes sont rapidement conquises malgré la résistance acharnée et héroïque des chasseurs à pied du lieutenant-colonel Driant au Bois des Caures. La pression allemande se poursuit et le lendemain, les deuxièmes lignes françaises sont atteintes. La situation est alors très inquiétante, les Allemands ne sont plus qu’à 10 km de la ville. Cependant, les renforts affluent rapidement.

Le 24 et le 25 février, sont des jours noirs pour les Français : les deuxièmes lignes et le fort de Douaumont sont conquis par l’ennemi. Mais dans le même temps, le général Pétain prend le commandement de la 2e armée à Verdun et va pouvoir coordonner seul la défense de la place, ce qui est un gage d’efficacité. Organisateur hors pair, meneur d’hommes, vénéré par ses soldats, ce grand chef va sauver la situation. Le 26 février, les Allemands sont partout contenus et leur avance est bloquée.

2e phase : la bataille d’usure

En mars, les Allemands portent l’offensive sur la rive gauche de la Meuse pour tenter d’éliminer les défenses françaises désormais dans leur dos et qui les gênent dans leur progression sur la rive droite. Les combats redoublent d’intensité, les pertes sont considérables, les Allemands grignotent du terrain, mais l’équilibre des forces penche désormais légèrement en faveur des Français. Le 10 avril, Pétain lance son fameux ordre du jour demeuré célèbre : « Courage, on les aura ! ». Pourtant, jugé trop timoré par le haut-commandement, il est remplacé par Nivelle, jugé plus offensif. A ce jour, les pertes françaises s’élèvent déjà à 133 000 hommes (tués, blessés, disparus) pour 81 000 chez les Allemands. A la vaillance et au courage de ces derniers répondent l’abnégation et l’héroïsme des Français. Rive gau­che, la situation française devient critique en juin. L’ennemi tient les sommets de la cote 304 et du Mort-Homme. Rive droite, le fort de Vaux est pris à son tour, après une résistance magnifique, alors que la tentative de reconquête de Douaumont a échoué. Fin juin et début juillet, les Allemands parviennent devant le fort de Souville, Verdun n’est plus qu’à 3 km. Vont-ils l’emporter ? Jamais ils n’ont été si près de la victoire, mais, épuisés eux-mêmes, ils ne peuvent conclure et l’offensive finale vient mourir sur les pentes du fort. Les Allemands ne prendront pas Verdun, ils viennent de perdre la bataille.

3e phase : la reconquête française

Au cours de l’été, les deux adversaires s’épuisent, mais fin août, la situation évolue en faveur des Français. Les Allemands n’ont plus de réserves et sont désormais contraints à la défensive. D’autre part, la bataille de la Somme, commencée en juillet, a raison des espérances allemandes à Verdun.

En septembre, les Français reprennent le village de Fleury définitivement puis c’est au tour du fort de Douaumont d’être reconquis le 24 octobre suivant. Vaux est abandonné par ses défenseurs le 2 novembre. Enfin, le 15 décembre, les Allemands sont rejetés presque partout sur leur ligne de départ de février 1916 rive droite. Rive gauche, il faudra attendre 1917 pour la reprise du Mort-Homme et de la cote 304.

Bilan

Verdun fut une véritable boucherie, une hécatombe extraordinaire. Les Français y ont perdu 163 000 hommes (63 000 tués, 100 000 disparus), ont eu plus de 215 000 blessés, soit un total de 378 000 hommes mis hors de combat en 300 jours. Côté allemand, les pertes sont presque équivalentes, ce qui fait un total de 756 000 hommes, un chiffre effarant !

Verdun, c’est aussi une débauche de matériel où se sont exprimées  toutes les facettes de la guerre industrielle moderne. A titre d’exemple, environ 65 millions d’obus ont été tirés sur un champ de bataille d’environ 20 km² dans le secteur central, soit un obus tous les 3 m².

Pour les Allemands, la défaite est lourde de conséquences. Malgré un acharnement effroyable et des pertes effrayantes, Verdun n’est pas tombé, l’armée française n’a pas été saignée à blanc comme le prétendait le général en chef allemand von Falkenhayn. Presque dix mois d’horreur en pure perte, l’échec est complet. L’armée est démoralisée et le pays commence à douter de l’issue finale de la guerre.

Pour les Français, la victoire a une importance capitale, le moral est regonflé à bloc. C’est d’ailleurs la dernière fois que la France remporte seule une victoire majeure. Presque toute l’armée française est passée à Verdun et dans l’esprit des Français cette bataille demeure le symbole même de la première guerre mondiale et de la résistance héroïque de l’âme française à l’envahisseur.

Ce qui demeure

Cent ans après cet affrontement titanesque, le paysage a bien changé. Une immense forêt domaniale de 14 000 hectares recouvre désormais le champ de bataille. Elle fut plantée dans l’entre-deux-guerres car les terrains étaient devenus impropres à toute remise en culture et le sol, littéralement pollué par toutes sortes de déchets de guerre, ne pouvait plus être exploité. Le site fut classé en zone rouge. Aujourd’hui encore, lorsque l’on se promène dans la forêt, il n’est pas rare de tomber sur des obus non explosés et autres vestiges rouillés des combats quand ce n’est pas sur des restes beaucoup plus macabres… Chaque année, les services du déminage ramassent près de 30 tonnes de munitions sur le site et ils ont calculé qu’il faudrait près de 300 ans avant que la terre ait fini de régurgiter toute cette ferraille en totalité. Lors de travaux forestiers ou de réaménagement des lieux de mémoire, on exhume régulièrement des restes humains dont certains identifiables ! Des secteurs ont conservé cet aspect lunaire du champ de bataille après les combats et, en d’autres endroits, on distingue parfaitement les vestiges des tranchées et des sapes. Il faut aller à Verdun comme l’on irait en pèlerinage, la terre de ce lieu qui a bu tant de sang étant le dernier linceul de dizaines de milliers de disparus et, en quelque sorte, sanctifiée par le sang versé, une terre sacrée, un véritable cimetière à ciel ouvert. De nombreux monuments, individuels ou collectifs, ont été érigés après la guerre ; je ne vous mentionnerai rapidement que le plus célèbre d’entre eux, l’ossuaire de Douaumont. (lire la suite dans notre numéro)

Claude BEAULÉON

Extrait du n° 58 – nouvelle série (février 2016) de Lecture et Tradition
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