Saint Joseph de Cotignac,
« Fili David ». Entretien avec Élise Humbert
À l’approche du mois de mars, consacré par l’Église au « grand silencieux de l’Évangile », il nous semble important de rappeler cette phrase de Pie IX qui, le 8 décembre 1870, proclama saint Joseph patron de l’Église universelle : « La dévotion envers saint Joseph est le salut de la société contemporaine ». Il y a quelques mois, Élise Humbert, déjà auteur d’un livre sur les apparitions de Notre-Dame de Grâces à Cotignac (1519) [1], a consacré un nouvel ouvrage [2] entièrement dédié au père adoptif de Jésus-Christ et époux terrestre de la Vierge Marie qui, 141 ans après elle, s’est manifesté à Cotignac (7 juin 1660).
Lecture et Tradition : Pour ceux qui n’auraient pas encore lu votre précédent livre sur les apparitions de Notre-Dame de Cotignac, pourriez-vous résumer les faits de ces événements qui précèdent celui que vous relatez dans ce que vous appelez un « deuxième tome du premier ouvrage » ?
Élise Humbert : De nombreux événements, étonnement riches et variés, d’une importance dont on ne comprend parfois la signification que des siècles plus tard, préludent à l’apparition de saint Joseph et viennent lui donner tout son sens.
1°) L’apparition de la Vierge Marie, alors que Luther parcourt la France et notamment la Provence pour répandre ses hérésies : Au petit matin du 10 août 1519, Notre-Dame se montre à un bûcheron du village, Jean de la Baume, venu couper du bois au faîte du mont Verdaille à Cotignac : l’Enfant Jésus, roi du ciel et de la terre siège en ses bras, ce qui suffit à la créditer, en réponse aux réfutations de l’hérésiarque, Mère de Dieu, Reine du Ciel, Mère de l’Église. Elle est entourée de l’Archange saint Michel, de saint Bernard de Clairvaux, de sainte Catherine d’Alexandrie. Notre-Dame renouvelle son intervention le lendemain, et délivre cette fois un message au bûcheron : « Je suis la Vierge Marie. Allez dire au clergé et aux Consuls de Cotignac de me bâtir ici même une église, sous le vocable de Notre-Dame de Grâces, et qu’on y vienne en procession pour recevoir les dons que je veux y répandre. ». Sans doute s’est-on interrogé en vain, pendant plus de quatre cents ans, sur le motif de la présence des trois personnages qui entourent Notre-Dame. Ce n’est que dans ces temps d’apostasie et de reniement qu’elle prend tout son sens, et elle confère aux événements de 1519 un caractère d’avertissement pour notre époque. La présence de chaque acteur indique, en effet, un des maux qui accablent la France aujourd’hui : celle de la Sainte Vierge annonce les ravages du protestantisme qui continue de ruiner notre religion. Celle de saint Michel, protecteur du royaume de France, laisse présager l’éclipse de la royauté, sainte Catherine (290-307, patronne des philosophes, qui préféra la mort au reniement de sa foi et de sa virginité, préfigure la prolifération des hérésies, l’omniprésence de la franc-maçonnerie, et la dépravation des mœurs. Saint Bernard enfin, qui prêcha la 2e croisade en 1246, fait augurer la montée de l’Islam.
2°) Près de 140 ans plus tard, la stérilité de la reine Anne d’Autriche qui, mariée depuis vingt-deux ans à Louis XIII, n’a toujours pas donné d’héritier à la couronne, inquiète la France et favorise les complots. Le 3 novembre 1637, un jeune religieux, le frère Fiacre, reçoit la visite de la Vierge Marie, portant en ses bras « le dauphin que Dieu veut donner à la France » et dont la naissance serait obtenue après la récitation de trois neuvaines, la première devant se faire au sanctuaire de Notre-Dame de Grâces à Cotignac. Pour preuve de l’authenticité de son apparition, la Reine du Ciel lui donne la vision du tableau miraculeux suspendu au-dessus de l’autel de ce sanctuaire. Les neuvaines commencées le 8 novembre 1637 par le frère Fiacre, s’achèvent le 5 décembre, et neuf mois plus tard, le 5 septembre 1638, Louis XIV naissait à Saint-Germain-en-Laye. La pérennité du royaume de France était assurée.
3°) Le vœu de Louis XIII, le 15 août 1638, est intimement lié à l’histoire de Cotignac car le roi, qui avait d’abord décidé que la France se préparerait pendant deux ans à ce grand événement, précipita l’exécution du vœu lorsqu’il apprit la promesse de la naissance d’un dauphin.
4°) le 21 février 1660, la cour de France accompagne à Cotignac le roi Louis XIV, qui vient avec sa mère, Anne d’Autriche, rendre grâce à la Vierge Marie pour sa naissance miraculeuse.
Il est opportun de souligner, pour préparer la suite de cet entretien, que chacun des événements cités apporte une touche régalienne à l’endroit et à son histoire, ce qui confirme le caractère royal du fief de Cotignac.
L. et T. : Dans le titre de votre livre se trouvent les mots « Fili David », se rapportant à l’appellation de saint Joseph qui figure dans l’Évangile. Pouvez-vous nous expliquer l’importance du choix de ce titre dans le cadre de votre étude sur l’apparition de 1660 ?
E. H. : Votre question me porte à avouer que ce choix est quelque peu « revanchard », car il est inspiré, en grande partie, par le triste constat qu’à Cotignac saint Joseph n’est presque exclusivement honoré que dans sa dignité d’époux de la Vierge Marie, de père nourricier du Fils de Dieu, ou de chef de la Sainte Famille (son apparition, d’ailleurs, n’est pas représentative de ces privilèges, puisqu’il se montre sans l’Enfant Jésus ni la Vierge Marie à ses côtés). N’est-ce pas le priver d’une partie de sa gloire que de ne pas rapporter ces titres à sa noblesse patriarcale, à sa dignité royale que fait ressortir la prestigieuse généalogie qui l’établit fils du glorieux roi David ? Son intervention du 7 juin 1660 ne peut se réduire à un simple secours, presque banal quoique miraculeux, que « le bon saint Joseph » apporte à un berger mourant de soif, quand il s’agit de la visite, certainement pas anodine, la première au royaume de France, de Joseph, de la lignée royale de Juda, de Joseph, Fili David, de Joseph, dernier roi d’Israël. Par quelle autorité interviendrait-il dans le fief royal de la cité provençale, où vont et viennent les princes du ciel et ceux de la terre, si ce n’est par celle que lui confère sa dignité royale ? De quelle ascendance userait-il pour s’adresser (par le truchement du berger Gaspard) au roi Louis XIV, si ce n’est parce que celle-ci s’appuie sur la filiation mystérieuse, spirituelle, et peut-être davantage encore, qui lie la souveraineté des cieux à celle des rois de France ? Enfin, à quel titre rappellerait-il à l’ordre le monarque si ce n’est dans l’exercice de son autorité royale ? Un jour venant, un roi de France subodorera dans son intervention le désir que lui soit consacré le beau royaume de France [3], il en prononcera l’acte publiquement dans le faste qu’il mérite. Alors, la France en liesse, reconnaissant sous l’or et la pourpre l’humble taiseux de Cotignac, le saluera sous son titre glorieux, comme l’entendent faire modestement ces pages : « Ave Joseph, Fili David » !
L. et T. : Avant le Joseph du Nouveau Testament, il y eut celui de l’Ancien, le fils de Jacob et intendant du Pharaon. Quels sont les traits de ressemblance et de similitude entre ces deux Joseph ?
E. H. : « Quæsivit Dominus sibi virum juxta cor suum… Dieu s’est cherché un homme selon son Cœur… ». Cette phrase du Livre des Rois (I Reg.13), que Bossuet applique à saint Joseph, suffirait à attester la plénitude des vertus de celui que Dieu a trouvé, a choisi, pour veiller sur son divin Fils et sur l’honneur et la virginité de Marie. Mais l’enseignement de deux papes [Pie IX, Quemadmodum Deus (1870), Léon XIII, Quamquam pluries (1889)] qui nous invite à nous reporter au Joseph de l’Ancien Testament, « figure du nôtre », pour connaître l’illustre descendant de David, ouvre une « malle au trésor » d’une incroyable richesse. Le lecteur en retirera d’abord les points de ressemblance contenus dans les Saintes Écritures : Tous les deux sont intendants des greniers du salut, au premier est confié le blé destiné à nourrir et à sauver le peuple égyptien, au second le Pain Vivant, destiné à nourrir et à sauver le peuple de Dieu, « Verbum caro, panem verum verbo carnem efficit », « Le Verbe fait chair, par son verbe, fait de sa chair le vrai pain » (Hymne Pange lingua gloriosi) et le pape Pie IX précise : « avec un soin jaloux et une sollicitude sans égale, il nourrit Celui que les fidèles devaient manger comme le Pain de l’éternelle vie ».
Le patriarche est divinement inspiré par des songes prophétiques, le Juste est instruit par des paroles célestes. « Au premier fut donné l’intelligence du mystère des songes, au second la connaissance et le partage des secrets du ciel » (Saint Bernard, deuxième homélie super Missus est).
Le premier est chaste, le second, dans l’état de virginité, est « le chaste gardien de la Sainte Famille » ; l’un est un serviteur intègre et fidèle, gardien des richesses du pharaon, l’autre est le dépositaire du trésor le plus sacré, Dieu Lui-même et sa virginale Mère ; chacun d’eux est respectivement établi par son maître « prince de tous ses biens ». L’un et l’autre sont ainsi constitués vice-rois : le patriarche, du pharaon qui règne en Égypte, le Juste, de Dieu qui règne dans les cieux. Le premier assure à ses frères : « Je suis le père du pharaon », le second est le père de Jésus-Christ. Enfin le pharaon décerne un nouveau nom à Joseph, Psomtom-Phanech, en égyptien, « Sauveur du Monde », or le chef de la Sainte Famille, protecteur du « Salvator Mundi » dans tous les dangers, mérite que lui soit appliqué ce titre. Nous pourrions indéfiniment puiser dans les vertus du patriarche pour les rapporter à notre saint. Citons encore sa générosité à pardonner à ses frères criminels. Dom de Monléon l’évoque avec tant de clarté, d’empathie, que nous ne pouvons qu’engager le lecteur à lire les pages admirables qu’il lui consacre[4]. Après avoir admiré cette vertu chez le Joseph de l’Ancien Testament, nous n’avons plus qu’à nous tourner vers le Joseph de l’Évangile pour reconnaître en lui le dispensateur des grâces de la miséricorde divine et l’implorer d’étendre sa libéralité à nos pauvres âmes (…)
Propos recueillis par Louis GRAVÊTHE
Lire la suite de cet entretien dans notre numéro
[1] – Éditions de Chiré, 2015 puis nouvelle édition revue et augmentée en 2019 pour le 500e anniversaire des apparitions.
[2] – Éditions de Chiré, août 2019, avec une préface de Monsieur l’abbé Alain Lorans et 8 pages d’illustrations et photographies en couleurs.
[3] – Ce que l’enfant privilégié de la couronne, Louis Dieudonné, avait sans doute fait, dans une prière personnelle, le 19 mars 1661, alors qu’il faisait célébrer, pour la première fois dans notre pays, la fête de saint Joseph selon le décret du pape Grégoire XV. Mais cet acte était sans caractère officiel puisqu’il n’a jamais été enregistré.
[4] – Histoire Sainte, Les Patriarches, pages 326 à 355 – Réédition de 2005.