Autre

Pour saluer Monseigneur Ghika (1873-1954)

Conclusion spirituelle (extrait) des Journées Chouannes 2013, par le père Lecareux (Fraternité de la Transgfiguration).

Je crois que le plus grand danger que nous traversons dans notre foi, c’est celui du désespoir : tout semble s’effondrer, alors on se traîne comme on peut, c’est la politique du dernier bastion, alors que tout s’écroule autour de nous. C’est oublier que Dieu est dans l’aujourd’hui de notre vie, car Dieu est vivant et agissant ! Pour illustrer ce que j’avance, je voudrais parler de la béatification qui a eu lieu en Roumanie, à Bucarest, hier. La béatification d’un grand monsieur, avec tout le respect qu’on lui doit, et qui s’appelle le prince Vladimir Ghika, celui dont s’inspire notre communauté. Un monsieur qui n’est pas connu en France et qui est pourtant un personnage mondial, par sa doctrine et surtout par l’exemple qu’il nous donne.

Je vais vous en parler rapidement, puis nous en tirerons les conclusions pratiques pour vivre avec lui l’aujourd’hui de Dieu, car nous devons nous souvenir et nous persuader que Dieu est à l’œuvre dans son Eglise : « Je ne vous laisserai pas orphelins ». Il nous donne son Esprit et son Esprit travaille dans l’Eglise. C’est facile de tout critiquer ; c’est plus difficile de repérer l’œuvre de Dieu qui s’accomplit.

Cette belle figure a été béatifiée sous le vocable de prêtre martyr, martyr du communisme athée. Il se présente comme témoin de la foi : celui qui sera fidèle jusqu’au bout, jusqu’à la mort dans la prison de Jilava, prison qui faisait frémir tous ceux qui y entraient, car c’était l’angoisse, les tortures, la mort à petit feu. Le prince Ghika sera régulièrement victime du supplice de la pendaison, infligée à la malheureuse victime sans aller jusqu’au bout, afin de pouvoir recommencer. Sadisme complet. Il a vécu durant 3 ans dans les geôles de Jilava, dans une prison de 6 mètres sur 5 avec une vingtaine de personnes, parfois beaucoup plus. Vivant comme il pouvait, mais témoignant toujours de sa foi au Christ présent dans l’Eucharistie. L’auditoire à qui il s’adressait et qui le vénérait déjà comme un saint, nous a laissé quelques témoignages : chaque fois qu’il parlait de Dieu ou de la Messe, son visage se transformait. Il rayonnait Jésus-Christ. Voilà ce que l’on a dit de lui, cela ne m’étonne pas : lorsque l’on voit les gens qui font le mal, qui vivent dans le mal, cela se voit. Demandez à un enfant, en regardant ces visages ravagés par le vice. L’enfant a un recul, il a peur. Et nous voudrions que le travail de Dieu dans une âme n’apparaisse pas ? Quelle foi avons-nous ? Alors cet homme de Dieu va passer à travers différentes étapes qu’il est bon de rappeler.

Il vient au monde, descendant des derniers princes moldaves, dans la ville de Constantinople (où son père est ambassadeur de Roumanie). Elevé dans l’orthodoxie, il va être formé par sa maman, une princesse très pieuse, dans la foi au Dieu de majesté et, comme il est doué à peu près dans tous les domaines, on va l’envoyer étudier en France à Toulouse, dans une famille protestante pour éviter la contagion catholique qu’on redoute pour lui dans notre pays.

Quelques ouvrages qui sont sortis récemment, mais qui ne me donnent pas satisfaction, le montrent un peu comme un œcuméniste à tout crin, mais c’est faux. Il découvre le protestantisme, à travers ses mauvais côtés : les controverses dans l’interprétation personnelle de la Bible. C’est en allant à Rome en 1902 qu’il va embrasser officiellement la foi catholique, alors que de cœur il est converti depuis longtemps déjà.

C’est un homme accompli : il a déjà accompli de brillantes études en beaucoup de domaines (histoire, droit, littérature, et même chimie et médecine qui n’auront pas de secrets pour lui), et bientôt il va acquérir à Rome la licence en philosophie et le doctorat de théologie. C’est qu’à Rome, il va découvrir la notion d’Eglise : « Unam sanctam » ! Il découvre ce que c’est que Rome, centre de la chrétienté. Il va en vivre et déjà il se sent missionnaire dans l’âme, il désire être prêtre mais, par diplomatie, on lui demande d’attendre car son frère, qui est dans le monde, n’est pas encore marié. On lui a posé cette question : « Pourquoi vous êtes-vous converti au catholicisme ? » Il répond par un jeu de mots, une boutade qui est bien plus profonde que nous ne pouvons l’imaginer : « Je me suis fait catholique pour devenir plus orthodoxe ». Il joue sur le mot grec (orthodoxe = « qui professe la droite doctrine »), car là il est dans la Vérité totale, plénière ; ce n’est pas du tout pour vivre en plénitude son orthodoxie, il sait qu’il va trouver la Vérité en plénitude dans l’Eglise catholique.

Le journal La Croix de vendredi dernier (30 août 2013), traduit : « pour devenir meilleur orthodoxe ». Ce n’est pas vrai, cela ne veut pas dire la même chose, c’est presque malhonnête, cela l’est d’ailleurs. Il voulait simplement que sa foi, si proche qu’elle fût de la foi catholique, prenne sa plénitude dans la foi catholique même. Il sera fils de l’Eglise et il en sera fier. Pour lui, sa vie c’est le passage 17 de Saint Jean, la prière sacerdotale « ut sint unum » « Père, qu’ils soient un comme vous et moi mon Père nous sommes un, afin que tous croient que vous m’avez envoyé ». Il va au cœur de l’Evangile.

C’est le 7 octobre 1923 qu’il va être ordonné prêtre, à l’âge de 50 ans. Les études cléricales ont été vite faites car il les avait depuis longtemps à peu près toutes accomplies. Il sera ordonné rue de Sèvres chez les pères lazaristes que vous connaissez, c’est tout près de la chapelle de la rue du Bac. Alors il est nommé pour le diocèse de Paris à l’église des Etrangers, qui s’appelle maintenant l’église Saint-Ignace. Il n’y reste plus beaucoup de souvenirs du père Ghika car l’église a été transformée. Et puis, on va l’envoyer un peu partout. « L’infatigable voyageur » dira de lui Pie XI: ce dernier va en faire un des grands responsables des différents congrès eucharistiques qui sont réunis à cette époque. Nous le verrons alors zélateur pour faire aimer Jésus dans sa présence réelle et substantielle dans ces grands congrès eucharistiques : Sydney en 1928, Carthage (1930), Buenos Aires (1934).

Par ailleurs, notons bien que sa vie sera marquée par le souci de l’unité totale. Nous ne pourrons évangéliser les gens que dans la mesure où nous serons bien unis entre nous, pour donner le témoignage de l’amour de Dieu qui unit, qui inonde et qui envoie en mission. Monseigneur Ghika va apporter cette foi d’Eglise dans les cœurs les plus déshérités. Il appellera cela la « théologie du besoin ». Ce n’est pas par besoin de faire du « social » : il va aussi bien dans les milieux nobles, bourgeois que chez les pauvres de Villejuif pour leur apporter Notre Seigneur Jésus-Christ rencontré dans le concret de sa présence ici-bas au tabernacle. C’est l’homme du Dieu de l’Eucharistie, et nous le verrons alors avoir soin des âmes par une devise qui est nôtre, pour notre communauté puisque nous nous inspirons de Monseigneur Ghika : « Votre devise sera la disponibilité ». C’est cela la théologie du besoin, c’est cela l’œuvre pour les pauvres. Chaque être rencontré est en quête de Dieu, c’est la base de sa théologie, de sa spiritualité. Et c’est vrai, pourquoi sommes-nous créés ? Pour connaître Dieu, l’aimer, le servir comme un père et ainsi obtenir le bonheur du ciel. Tout être humain quel qu’il soit, quelle que soit sa culture, peut découvrir Dieu. Nous trouvons cela en Saint Paul, Epitre aux Romains chapitre 1er : « Dieu donne des signes de sa présence à tous et à toutes ». Saint Paul dira également : « Ils sont impardonnables ceux qui ne découvrent pas Dieu ». Combien d’âmes disent : Cela ne m’intéresse pas. Nous répondons : c’est parce que vous ne voulez pas regarder votre vie, son sens, d’où vous venez, ce que vous faites et où vous allez. Mais Dieu s’impose, et Monseigneur Ghika va vivre cela : l’aujourd’hui de Dieu et la théologie du besoin des âmes pour le connaître. Dieu travaille dans les âmes, et nous voudrions que maintenant Dieu soit au chômage. Cela n’existe pas en Dieu, Il est en permanence, par son Esprit-Saint, dans les cœurs de ceux qui l’aiment. Cela, il faut nous en persuader. Pourquoi n’avons-nous plus beaucoup de vocations ? C’est parce que nous ne parlons plus de Dieu dans les cœurs, ni de la mission qu’Il nous impose par notre baptême et notre confirmation, pour le faire connaître et aimer. Comment voulez-vous que les gens connaissent le Bon Dieu s’il n’y a pas des témoins de cette foi ? Et les témoins de cette foi, ce doit être nous, par le fait même, que nous vivons cette foi, que nous voulons la conserver et la cultiver par ces journées de renaissance catholique comme nous le faisons aujourd’hui à Chiré-en-Montreuil parce que nous avons besoin de nous retrouver.

L’isolationnisme c’est la mort, rappelez-vous cela ; il faut se retrouver et se dire : moi au moins, j’ai rencontré quelqu’un qui avait la foi. Et lorsque l’on voyait Monseigneur Ghika, on savait que tout n’était pas perdu, au contraire : « Votre règle sera la disponibilité ».

Alors, nous devons nous interroger sur les moyens qui nous sont proposés par Monseigneur Ghika pour vivre cette disponibilité d’âme et pour conquérir les âmes au Cœur eucharistique de Jésus.

Extrait du n° 34 – nouvelle série (mars 2014) de Lecture et Tradition
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