Autre

Nécessité d’une politique chrétienne

Entretien avec M. l’abbé Guillaume Devillers (extrait)

Lecture et Tradition : Tout le monde est-il d’accord avec vous sur le fait que la politique doive s’étudier à la lumière de la foi ?
 
Abbé Guillaume Devillers : En fait, non. On lit assez souvent sous la plume de bons auteurs des raisonnements du genre : « La philosophie et la politique sont des sciences rationnelles. Donc l’Eglise n’a pas à s’en mêler, sauf dans certains cas, dans les questions religieuses ». Autant dire : « L’homme est une créature qui a sa nature et ses lois propres, donc Dieu n’a rien à y faire ! » Tout le monde ne va pas jusqu’à cette conséquence extrême du naturalisme, mais beaucoup cherchent pourtant à évincer en quelque manière Dieu et l’Eglise de la vie publique. C’est une erreur car rien ni personne ne peut se passer de Dieu. La politique ne peut se passer de la lumière de la révélation, ni l’Etat de l’Eglise. Car il n’y a qu’un seul Sauveur et un seul restaurateur de la nature déchue : Jésus-Christ.
 
L. et T. : En disant cela, n’avez-vous pas tendance à confondre la nature et la surnature, l’Eglise et l’Etat ? Ne conviendrait-il pas de faire quel­ques distinctions comme celles que fait le numéro de juin 2013 du Courrier de Rome ? (1).
 
Abbé G. D. : Je ne confonds pas : nature et surnature sont distinctes, de même que l’Eglise et l’Etat qui ont chacun une fin prochaine particulière. Mais ces réalités distinctes sont inséparables et Dieu a fait toutes choses en vue d’une fin ultime qui est de fait surnaturelle. La politique doit s’ordonner aussi à cette fin. L’article que vous mentionnez distingue entre l’action du politicien et l’objet de la politique, ce qui est juste, mais il en tire une conclusion qui me paraît très discutable. Selon l’auteur, l’action politique du chrétien devrait toujours être surnaturelle, car nous sommes tenus de tout faire pour la gloire de Dieu et autant que possible par motif de charité. Mais l’objet de cette action, la politique en elle-même ne serait souvent de soi que purement naturel. L’intention du politicien (finis operantis) devrait être surnaturelle, mais la fin de la politique (finis operis) ne le serait pas ou pas toujours. Je pense qu’il y a là une erreur. Si l’intention de celui qui agit doit être surnaturelle, c’est que son action doit l’être également.

 
L. et T. : Toutes ces discussions paraissent bien subtiles, ne sont-elles pas un peu déconnectées du réel ?
 
Abbé G. D. : Je pense que tout le monde peut comprendre que la politique doit s’ordonner au bien des âmes, « cum prudentia et pietate ». En fait, toute cette discussion un peu complexe a pour but d’expliquer pourquoi l’Eglise n’a en politique qu’un pouvoir indirect. Oui, c’est vrai, l’Eglise n’a sur l’Etat qu’un pouvoir indirect, mais la raison que l’on en donne n’est pas juste. J’ai essayé dans mon livre d’expliquer cette question de manière simple et précise. Disons en bref que les prêtres et les gouvernants civils ont, ou devraient avoir, un même but ultime, mais qu’ils n’ont pas le même rôle ou office. Or c’est un principe essentiel pour le bon fonctionnement de toute société que chacun doit s’occuper de ce dont il a la charge sans empiéter sur le domaine de son voisin : « Chacun son métier, les vaches seront bien gardées ! » Ce n’est pas au gouvernement politique de régler l’ordre des cérémonies religieuses, d’enseigner la foi ou de nommer les évêques. Ce n’est pas au Pape, en général, de nommer les rois ou de dire s’il faut supprimer le feu rouge de Chorges (qui provoque des bouchons à n’en plus finir !). Mais conclure de là que les hommes politiques ne doivent ordinairement se préoccuper que du bien temporel et les prêtres ne pas intervenir dans le domaine temporel, c’est du pur naturalisme, et c’est la grande hérésie moderne.
 
(1) Dans une excellente étude de M l’abbé Gleize, De quelques distinctions.

Extrait du n° 30 – nouvelle série (octobre 2013) de Lecture et Tradition
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