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Une nouvelle édition de la Petite histoire de France. Entretien avec Henri Servien (extrait)

Lecture et Tradition : Quand parut, en 1978, la première édition de votre livre, il faut avouer qu’autant vous-même que Jean Auguy, l’éditeur, étiez à peu près certains de votre fait. Mais, publier un album cartonné, abondamment illustré, était une entreprise risquée pour une maison totalement indépendante, non conformisme, peu en cour, voire inconnue des circuits de diffusion et distribution du livre, tandis que la concurrence des « grands éditeurs » mettait sur le marché des ouvrages qui paraissaient équivalents mis en vente à des tarifs moins élevés. Cependant, en quelques années, malgré le peu d’aide et de collaboration des confrères et libraires « amis », ce livre se révéla être un « grand succès ». Êtes-vous en mesure de nous expliquer pourquoi ?

Henri Servien : Rendons à Jean Auguy ce qui lui appartient. Sans un éditeur-diffuseur qui fait la publicité nécessaire, la dose et insiste auprès des clients potentiels, les paresses naturelles reprennent le dessus et les livres passent aux oubliettes. Pour les ouvrages de notre famille de pensée, refusés par les gros circuits de distribution, ce travail de réclame est le BA-Ba. Ensuite joue sans doute un peu le bouche à oreille. S’ajoutent, en ce qui concerne la Petite histoire de France, des opportunités conjoncturelles favorables. L’école connaissait déjà des réformes et les conseillers du ministre de l’Éducation nationale (M. Haby) modifièrent les programmes dans diverses matières. Chez nous, depuis la IIIe République, puis plus intensément après 1945, l’histoire était l’objet de luttes politiques. Il fut décidé de proposer une histoire thématique et sociale dans laquelle les collégiens d’abord, les lycéens ensuite, étudieraient non l’Histoire nationale mais des « thèmes » : l’agriculture du néolithique à nos jours, les échanges… Autre point capital, ces survols s’accompagnaient de l’élimination de l’ « histoire-bataille », des grands hommes avec une chronologie peu logique et fort pauvre. En tant que telle, l’histoire de France était dissoute dans l’ensemble européen voir mondial. Bref les élèves s’y perdaient, et pire, se désintéressaient. Les parents s’inquiétaient. En tant que professeur, je rageais.
Devant le risque que disparaissent les principales étapes et les grandes figures de l’histoire nationale, il nous parut à Jean Auguy et à moi-même, utile de proposer une Histoire de France pour les adolescents (entre 10 et 14 ans). Les anciennes histoires des années 30 ou 40, présentaient des lacunes gênantes. Jean Auguy me demanda d’en écrire une. A l’origine il y avait deux conditions : Nous étions limités en volume et il nous fallait un très bon illustrateur. Je pris contact avec René Follet et j’eus la grande joie d’obtenir son accord pour une illustration vivante, abondante, intégrée au texte. Il fut donc l’artisan de la mise en page. Par la suite, il nous fut possible d’ajouter ce que nous n’avions pu intégrer dans la première édition. Mon objectif fut de m’adresser à des lecteurs entre 10 et 14 ans car j’ai constaté qu’un livre qui vous a plu à ces âges, participe à votre formation. Il faut attirer l’œil (par les illustrations réalistes, par des photographies, des cartes) et apporter des explications simples que les autres lectures et discussions avec les adultes approfondiront par la suite. La démarche n’est pas celle de la bande dessinée à la lecture souvent plus superficielle et qui s’adresse à un public plus vaste.

L. et T. : En effet, ce succès s’est confirmé, puisque malgré des capacités financières restreintes, votre ami Jean Auguy a pris la décision de procéder, en 1989, à une deuxième édition revue et augmentée, puis une troisième édition, en 2007, et, enfin, sous l’égide de F.-X. d’Hautefeuille, cette quatrième édition à paraître très prochainement (début 2015). Il est évident que l’essentiel de votre rédaction ayant été achevé il y a bientôt 40 ans (1978), il vous a fallu apporter un complément pour le déroulement des événements de ces quatre dernières décennies. Comment avez-vous procédé? Qu’avez-vous pu ajouter ?
H. S. : D’une part, il n’était pas question de donner aux dernières années du XXe siècle une place disproportionnée, ce qui est à mon avis le défaut de ce genre d’ouvrage. De plus, du fait de l’intégration étroite des illustrations au texte, toute modification notable nécessiterait une refonte complète de l’album, ce qui ne pouvait se faire. Néanmoins nous en avions déjà tenu compte dans les précédentes éditions. J’avais évoqué les grandes tendances profondes actuelles, le malaise français, les tensions sociales, le chômage, les changements de mentalité, les présidents de la Ve République dans des hors-textes, complété les éléments des chronologies. François-Xavier lança l’idée d’ajouter quelques lignes aux premières conclusions. La tâche a été fort bien remplie par Philippe de Lacvivier à qui je renouvelle mes remerciements pour sa pertinente synthèse.
L. et T. : Le tirage de ces quatre éditions s’élève à 42 000 exemplaires, chiffre rarement atteint dans le domaine de nos éditions « à contre-courant ». Vous devez retirer une certaine fierté de votre œuvre ?
H. S. : Certes, un auteur est toujours touché quand il rencontre des lecteurs jeunes ou moins jeunes qui disent leur intérêt pour son travail. Mais en ce qui concerne le livre, l’auteur est forcément insatisfait devant les lacunes, des maladresses. Faire tenir les 2000 ans de notre histoire dans quelque 170 pages était une gageure téméraire. On ne peut jamais tout dire. Ce qui me semble le plus important pour moi est d’avoir tenté de donner un éclairage, un écho du passé français, d’avoir montré le courage et la foi de nos milliers d’ancêtres. Pour qui regarde notre pays, nos monuments, notre musique, notre littérature, nos paysages comment est-il possible, une minute, de nier nos racines chrétiennes, l’œuvre de nos rois ? Essayons de transmettre ces inestimables richesses. 
L. et T. : Dans sa préface que le grand historien Jean-François Chiappe vous avait fait l’amitié de vous offrir, il écrit : « En lisant et relisant le livre de M. Henri Servien, en vous imprégnant des images dues à M. René Follet, vous constaterez que la France d’Ancien Régime, la vraie France ne constituait pas une société de classes mais d’états, que les hiérarchies – inévitables – procédaient moins de l’argent que des services, qu’ils fussent anciens ou récents, rendus à la collectivité ». Que nous sommes loin des profiteurs contemporains ! Pouvez-vous développer rapidement cette comparaison ?
H. S. : Votre question prolonge ce que j’exprimais plus haut. Le regretté Jean-François Chiappe qui fut un de ces passeurs qui, à travers des biographies et des synthèses spirituelles, nous ont fait sentir, comprendre, aimer ce qu’avait été l’Ancien Régime. La nature humaine même fortifiée par la foi et les pratiques chrétiennes, gardait des défauts et le Vieil homme renâclait mais les conceptions sur le devoir, l’honnêteté, le travail, la générosité, l’honneur, étaient communes aux différentes catégories sociales. Chaque état avait ses privilèges et les collectivités étaient des protections pour les plus pauvres. Dans les lettres, les testaments, les choix personnels, revient l’évocation du Salut. Nous avons là une société fondée très solidement sur la famille, la foi catholique, la notion de service et de communautés. Si l’on regarde celle où nous vivons, nous trouvons exactement le contraire (…).

Propos recueillis par Jérôme SEGUIN


Extrait du n° 44 – nouvelle série (décembre 2014) de Lecture et Tradition
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