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Tour d’horizon sur la franc-maçonnerie

Entretien avec Arnaud de Lassus (extrait)
« Personnification permanente de la révolution, (la franc-maçonnerie) constitue une sorte de société retournée dont le but est d’exercer une suzeraineté occulte sur la société reconnue et dont la raison d’être consiste entièrement dans la guerre à faire à Dieu et à son Eglise. »

Léon XIII, Annum ingressi (« Parvenus à la 25e année »)
Lettre apostolique du 19 mars 1902.
Lecture et Tradition : Vous avez accepté de donner une préface pour la 6e édition du livre de Léon de Poncins, La Franc-Maçonnerie d’après ses documents secrets que viennent de publier les Editions de Chiré. En rappelant à nos lecteurs que la première édition de cette étude est parue il y a 80 ans, en 1934, vous estimez donc qu’il vous a semblé utile et peut-être même nécessaire de remettre cet ouvrage à la disposition du public. Pouvez-vous nous en donner les raisons et dire quelques mots pour présenter L. de Poncins, « l’homme et l’œuvre », selon la formule consacrée ? 

Arnaud de Lassus : Les éditeurs, dans l’avant-propos qu’ils ont donné pour la quatrième édition du livre de Léon de Poncins (1972), ont répondu ainsi à cette même question :

Pourquoi cette réédition d’une étude vieille de quarante années ?
Dans le domaine de l’évolution des idées et des civilisations, quarante années sont peu de chose et, malgré une abondante production littéraire, il y a peu de bons livres qui traitent de l’ensemble de cette question, bien peu qui aient survécu à l’épreuve du temps.

Et c’est parce que c’est un très bon livre sur le sujet que « La Franc-Maçonnerie d’après ses documents secrets » a connu six éditions successives.
Voici comment est présenté l’auteur, Léon de Poncins, dans la quatrième édition :

Exploitant agricole, né à Civens (Loire) le 3 novembre 1897. Spécialisé dans l’étude des mouvements révolutionnaires contemporains, et convaincu de l’influence des sociétés secrètes sur les grands bouleversements politiques et sociaux, L. de Poncins a consacré à ce problème plusieurs ouvrages qui eurent un certain retentissement à l’étranger où ils furent traduits dans plusieurs pays. Le premier parut en 1928 sous le titre Les forces secrètes de la Révolution. Vinrent ensuite une quinzaine de livres dont Christianisme et Franc-Maçonnerie (1969) et La Franc-Maçonnerie d’après ses documents secrets (1972) qui vient de faire l’objet d’une récente réédition.

L. et T. : Notre propos n’est pas ici de refaire l’histoire de la Franc-Maçonnerie depuis ses origines. Cependant, voulez-vous en résumer, à grands traits, les principales étapes ? 

A. de L. : Voici, très schématiquement, les principales étapes de cette histoire :

– L’apparition en 1717 de la structure maçonnique telle qu’elle est actuellement organisée
La franc-maçonnerie, dans son organisation actuelle, apparaît à Londres le 24 juin 1717, date à laquelle fut créée la grande Loge de Londres par la fusion de deux organismes : une ancienne corporation de bâtisseurs et la société occultiste des Rose-Croix ; fusion ainsi évoquée par le rabbin Toaff :

Il existe dans la franc-maçonnerie une doctrine secrète philosophique et religieuse introduite par les Rose-croix gnostiques lors de leur fusion avec les maçons libres en 1717. Cette doctrine secrète, ou gnose, est l’apanage exclusif de la franc-maçonnerie des hauts grades (1).

– Développement de la FM (2) en France au XVIIIe siècle
Introduite en France en 1721 par l’institution à Dunkerque de la loge « Amitié et fraternité », la franc-maçonnerie s’y développera très rapidement.

A la veille de la Révolution, écrit l’historien maçonnique Louis Blanc, la franc-maçonnerie se trouvait avoir pris un développement immense ; répandue dans l’Europe entière, elle présentait l’image d’une société fondée sur des principes contraires à ceux de la société civile (3).

Les principes de la société civile qu’évoque Louis Blanc sont essentiellement les commandements de Dieu (ou décalogue).
Les principes maçonniques contraires à ceux de la société civile furent appelés principes de 89 ; ils ont été codifiés dans la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789. 

– L’épisode de la Commune : une révolution maçonnique réprimée par des francs-maçons

Gouvernement révolutionnaire qui se mit en place à Paris à la suite de l’insurrection du 18 mars 1871, la Commune fut écrasée par l’armée aux ordres du gouvernement d’union nationale qui siégeait à Versailles.
Or les francs-maçons étaient en position dominante à la Commune d’une part et dans le gouvernement d’union nationale d’autre part.

L. et T. : La question maçonnique est l’un des sujets sur lequel reviennent régulièrement les « grands » magazines et revues contemporains qui en font leur titre de couverture « accrocheur » pour attirer la curiosité des lecteurs (4). Cela vous semble-t-il justifié ? 

A. de L. : Attitude tout à fait justifiée du fait de la place de la FM dans l’actualité politique. Nous ne donnons qu’un exemple tiré de l’Express du 4 janvier 2012 :

Dans son dossier « Elysée 2012 – Francs-maçons, comment ils manipulent les candidats », L’Express du 4 janvier 2012 pose la question : « Les francs-maçons jouissent-ils encore d’une forte influence électorale en France ? » et publie la réponse que lui donne Guy Arcizet, grand maître du Grand Orient de France :
« Les candidats à l’élection présidentielle se précipitent avec enthousiasme pour prendre la parole dans nos temples. Pourquoi cet empressement ? Pour atteindre les plus de 160000 frères et sœurs regroupés dans des dizaines d’obédiences, mais surtout parce que chaque initié constitue une petite tête de réseau.
L’heure de la franc-maçonnerie a sonné. Nous avons tout ce qu’il faut en nos loges, les hommes et les méthodes. » (5)

L. et T. : La façon dont sont actuellement construits ces dossiers est bien édulcorée pour laisser croire que cette organisation, à laquelle nous pouvons bien appliquer le qualificatif de « secte », ne serait qu’une œuvre d’entraide philanthropique et humanitaire. Est-ce un changement de stratégie de la part des dignitaires maçons ou bien une certaine complaisance que s’ingénient à vouloir imposer ces publications ?

A. de L. : Les dossiers des grands magazines sont forcément édulcorés car ces magazines, connaissant la puissance de la FM, ne veulent pas apparaître comme s’y opposant de façon visible.

L. et T. : Pendant les 70 ans (de 1870 à 1940) qu’a duré la IIIe République en France, il a été beaucoup question de la forte influence maçonnique dans les milieux du personnel politique et pour inspirer les principales options et décisions prises par les gouvernements successifs. Cela est-il bien exact ?

A. de L. : Effectivement cette période (1871-1940) correspond à une apogée de la puissance maçonnique en France.

Il est vrai, explique le franc-maçon Jean-André Faucher, que la Troisième République est née dans les loges maçonniques à partir de 1865. Tout naturellement, le 4 septembre 6 porta au pouvoir des francs-maçons : Jules Simon, Ernest Picard, Jules Favre, Adolphe Crémieux, Emmanuel Arago.
Jules Ferry, qui ne l’était pas encore, devait être initié en 1875 par la loge « La clémente amitié ».
Les présidents de la République Jules Grévy, Félix Faure, Sadi Carnot, Paul Doumer, Gaston Doumergue ; les présidents du conseil Léon Gambetta, Maurice Rouvier, Pierre Tirard, Charles Floquet, Jules Méline, Emile Combes, René Viviani, Camille Chautemps furent des maçons. De même que le ministre Delcassé, le père de l’Entente cordiale.
On put dire alors que la maçonnerie était devenue la chambre de réflexion de la République (7).

L. et T. : En tête de la réédition de 1972, Léon de Poncins écrivait que « les nouvelles méthodes de pénétration insidieuse lui permettent d’infiltrer l’Eglise où elle trouve de puissants appuis dans les milieux progressistes (…) » On peut donc dire, sans exagération, que le progressisme qui ébranle profondément l’Eglise catholique depuis le Concile Vatican II est un produit de l’influence philosophique de la maçonnerie sur l’Eglise. A votre avis, il n’y a aucune équivoque sur ce point. Pouvez-vous nous donner quelques exemples des nouvelles orientations actuelles dictées par l’esprit maçonnique ?

A. de L. : Citons à ce titre la brochure de Carlo Alberto Agnoli « La maçonnerie à la conquête de l’Eglise » publiée en 1997 par les Publications du Courrier de Rome.
L’auteur montre que les listes de prélats francs-maçons diffusées à Rome et en France dans les années 1976-1978 n’ont pas à être « éliminées comme absolument non fiables », mais possèdent une certaine « fiabilité générale »
Il analyse les listes de 1978 et 1976 (liste Pecorelli du 12 septembre 1978 ; liste de la revue Panorama du 10 août 1976 ; liste de la revue française Introibo de juillet 1976) ; il apporte à leur sujet des preuves de crédibilité tirées de faits, de recoupements, d’études et de prises de position postérieurs à 1978.
Voir à ce sujet, dans le n°161 (juin 202) de l’AFS, l’article « Quelques aspects de la pénétration maçonnique dans l’Eglise » où est présenté le cas de Mgr Bunigni, prélat romain qui joua un rôle clef dans la récente réforme liturgique… et qui était lui-même très vraisemblablement franc-maçon.

L. et T. : Pourtant, pendant plus de deux siècles, les papes n’ont cessé de publier des encycliques condamnant avec une grande fermeté la nocivité de la FM et interdisant à tout catholique d’y adhérer !

A. de L. : Il faut reconnaître que les textes romains dont il est ici question n’ont pas été accompagnés de sérieuses mesures d’application et n’ont pas été aussi efficaces qu’on l’aurait souhaité.
En face d’un groupe en partie secret et très bien organisé, une réaction sur le plan des idées ne peut suffire. Il faut s’en prendre aux hommes responsables… et commencer par les nommer. Sous les papes Léon XIII, Benoit XV, Pie XI, Pie XII et Jean-Paul II, les secrétaires d’Etat étaient soit francs-maçons (tel était le cas du cardinal Rampolla, secrétaire d’Etat de Léon XIII et du cardinal Villot, secrétaire d’Etat de Jean-Paul II) soit proches des francs-maçons. Sous le pontificat de saint Pie X, en revanche, le poste de secrétaire d’Etat échappe à l’influence maçonnique puisqu’il était tenu par le cardinal Merry del Val.

L. et T. : Parmi les différents chapitres que contient le livre, il en est un consacré à un point qui nous ramène à une relative actualité, en raison de la commémoration du centenaire de la déclaration de la guerre de 1914. Léon de Poncins l’a intitulé La Franc-Maçonnerie et la guerre. Que dit-il à ce propos des événements de l’époque, à la lumière des documents auxquels il a pu avoir accès pour étayer sa démonstration ?

A. de L. : Ce chapitre est assez court (16 pages) et n’aborde que deux aspects de la question :
– l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914 (qui déclencha la guerre) et l’interrogatoire des principaux responsables (Cabrinovic, Princip et Grabez) ;
– des déclarations de francs-maçons faites en particulier lors des congrès maçonniques des 28, 29 et 30 juin 1917 réunissant à Paris des représentants des maçonneries des pays alliés et neutres ; ces déclarations montraient bien le caractère maçonnique de la guerre. Il s’agit là d’une question fondamentale qui est très rarement évoquée par les historiens (…)

Propos recueillis par Jérôme SEGUIN

1 – Note des éditeurs, le docteur Modiano et le rabbin Toaff, du livre d’Elie Benamozegh «  Israël et l’humanité ».
2 – Ici et dans la suite du texte, le mot franc-maçonnerie sera remplacé par FM.
3 – Cité dans Pour qu’Il règne, de Jean Ousset, p. 205 (Cet ouvrage a connu plusieurs éditions : La Cité Catholique, 1959 et 1962 ; Office, 1970 ; Club du livre civique, 1975 ; Editions Dominique Martin Morin, 1986 et 1998).
4 – NDLR : Encore récemment, Le Figaro Magazine titrait ainsi son numéro (du 10 octobre) : « Comment on devient franc-maçon ».
5 – Humanisme, revue du Grand Orient, septembre 1979 ; cité par Lectures françaises.
6 – Journée révolutionnaire du 4 septembre 1870 qui vit la chute du Second Empire.
7 – Jean André Faucher, chancelier de la Grande Loge de France, Spectacle du monde de septembre 1976, article La Franc-maçonnerie face aux pouvoirs, p. 75, p. 136.

Extrait du n° 42 – nouvelle série (octobre 2014) de Lecture et Tradition
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