Entretiens

La Révolution dans ses œuvres face aux guerres de Vendée et aux chouanneries. Entretien avec Henri Servien

« Je consens que mon frère soit mort, c’est la loi commune. Ce qui me révolte, c’est l’arrogance de ses assassins. »

Marlowe (Édouard II).

Lecture et Tradition : Si les Éditions de Chiré viennent de procéder à la troisième édition de votre « Petite histoire des guerres de Vendée », c’est bien que le public porte un certain intérêt à cette « lutte de Géants » dont le plus fort des affrontements n’a été que de courte durée (neuf mois, de mars à décembre 1793). Pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes ?

Henri Servien : La guerre de Vendée eut quelques caractéristiques marquées : ce fut une guerre spontanée, populaire (les nobles furent souvent contraints), rurale et, d’abord, une guerre de défense de la religion catholique. Elle a eu aussi, bien plus que d’autres, une forte dimension politique. De mars à décembre 1793, 770 paroisses sur quatre départements de l’Ouest, se sont insurgées pour défendre leurs libertés dont, au premier rang, celle de la religion catholique. Ces motifs se retrouvèrent dans la chouannerie, mais la Vendée se dota d’une organisation, des chefs élus dans les paroisses, un Conseil supérieur (de Châtillon) qui administra les territoires insurgés, désigna un généralissime (Cathelineau, d’Elbée, La Rochejaquelein, Fleuriot), chercha à mettre d’accord les chefs des différentes armées. Après plusieurs mois de succès qui leur permirent de s’équiper (chez les Bleus), les Vendéens durent faire face à des troupes mieux commandées, plus nombreuses. Après l’échec de Cholet (octobre 1793), ils se lancèrent dans la marche vers le Nord (dite « Virée de galerne »). Épuisés, malades, les valides retournèrent vers la Loire au bout de quelques semaines.

L. et T. : Il y a bien eu une raison majeure pour laquelle a été déclenchée cette rébellion. Laquelle ?

H. S. : Il faut prendre en compte que ces ruraux, comme les autres Français, devant les bouleversements et les déferlements de violences révolutionnaires, ont subi des heurts émotionnels et moraux profonds, faits de sidération, de colère, d’horreur.

Oui, il faut souligner ces chocs émotionnels et moraux profonds, répétés, causés par la Révolution depuis l’année 1789 : la constitution civile du clergé (12 juillet 1790). D’inspiration gallicane, elle bouleverse le nombre et les limites des paroisses et diocèses ; curés et évêques sont élus par les « électeurs », c’est-à-dire les plus riches (dont beaucoup sont voltairiens ou athées), le pape – Pie VI – est seulement averti du vote. Il condamne la Constitution civile. En novembre s'ajouta le serment obligatoire des prêtres et leurs regroupements. Le trouble est immense dans tout le pays. Dans ce qui sera la Vendée militaire, on trouve 80 à 90 % de prêtres réfractaires (« les bons prêtres ») souvent d’origines non vendéennes. En 1792, commença la chasse aux prêtres. En septembre de la même année, on apprit les massacres des suspects emprisonnés ; partout en France, on constate des troubles spontanés. Le 21 janvier 1793, le roi est guillotiné. Les événements de Paris ont été connus dans l’Ouest deux ou trois jours après leur déroulement. En mars, les hommes sont convoqués pour le tirage au sort militaire… pour défendre la République ! La Vendée ne fut pas la seule à avoir protégé des prêtres, à refuser les assignats et les levées d’hommes : en Bretagne, dès 1791 (avec La Rouërie et l’ébauche de la chouannerie), mais aussi dans le Sancerrois, au Camp de Jalès (Vivarais), le Maine, la Corrèze, la Lozère… En 1793, le mécontentement gagna en intensité : dans l’Est, à Lyon, en Provence, à Bordeaux…

L. et T. : Pour mettre fin à cette révolte populaire les gouvernants de l’époque n’ont trouvé que le moyen de la terreur. N’y avait-il pas une autre solution ou cette politique de la « terre brûlée » fut-elle délibérément décidée en haut lieu ?

H. S. : La riposte des révolutionnaires fut leur politique de terreur. Mais la terreur est antérieure à la Vendée.

La Terreur « spontanée » a débuté à la prise de la Bastille, avec des scènes de violences inouïes. On distingue deux terreurs « légales » mises en place par l’Assemblée Législative et la Convention (au passage, rappelons que la Législative fut élue par le quart des électeurs et la Convention par un électeur sur dix. Elles ont cependant gouverné de façon dictatoriale… au « nom du peuple »). Après le 10 août 1792 puis après le 2 septembre 1793, l’oppression étatique se durcit. Le 5 septembre, « La Terreur est mise à l’ordre du jour » ; pour cela, avaient été créés des comités dotés des pouvoirs exécutifs : le Comité de salut public, le Comité de Sûreté générale (police, justice), le Tribunal  révolutionnaire, des comités de surveillance qui dénoncent les « suspects »…

Les conceptions idéologiques des révolutionnaires reprenaient les idées des écrivains des « Lumières » et les démonstrations des sophistes. Leurs conceptions se signalent par leur cruauté. Diderot préconise comme moyen radical pour changer la société, de la « saigner ». L’abbé Raynal a fait sien l’avis de son ami : « Une nation ne se régénère que dans un bain de sang ». Les textes appelant aux tueries sont très nombreux dans les discours et écrits des révolutionnaires. Le professeur Xavier Martin peut à juste titre estimer que « les massacres et dépeçages ressortissent à la nature profonde des révolutionnaires » [1]. Du reste Saint-Just l’a proclamé : « Ce qui constitue une république, c’est la destruction de ce qui lui est opposé ». Cette opinion a été reprise dans les révolutions communistes du XXe siècle et dans les pays du « tiers monde » qui en cela et pour leur malheur, imitèrent la France.

Revenons une minute en arrière : en septembre 1789, fut lancée une liste de proscriptions intitulée « la chasse aux bêtes puantes et féroces » (c’est ainsi que Voltaire désignait les prêtres catholiques).  Oui, le professeur Martin l’a démontré sans contestation, Voltaire et les gens des Lumières avaient répandu des schémas anthropologiques pour le moins restrictifs, en fait totalement atroces : il y a les hommes (ceux qui pensent, écrivent, les libertins, les puissants, les hommes d’affaires…) ils ont des droits et il y a les autres, les sous-hommes, proches des bêtes, qui sont « superstitieux » (= catholiques) et (trop) nombreux. Ceux d’entre eux qui refusent d’être « régénérés », ne méritent donc que l’extermination et les supplices. On retrouve ces « explications » reprises dans toutes les lettres des bourreaux de la Vendée. Nous sommes bien loin des envolées péremptoires de la Déclaration des droits de l’Homme d’août 1789 (libertés, de pensée, d’opinions, de conscience, de propriété, de sûreté, … de résistance à l’oppression) !

L. et T. : Vous confirmez donc que ce régime que l'on peut désigner sous le qualificatif d'extermination a été pensé, réfléchi et mis au point avec la plus impitoyable vigilance ?

H. S. : On distingue deux périodes de Terreur : officiellement la première dès le 10 août 1792 au 21 septembre, puis durant la Convention. Se partagent le pouvoir du pays, deux organes : un conseil exécutif de six membres et la Commune de Paris. La seconde Terreur, à partir du 5 septembre 1793 est dirigée par les Montagnards et le Comité de salut public. A côté d’une terreur politique se développèrent une terreur économique et une terreur religieuse.

Faut-il rappeler que les comités parisiens et la Convention, étonnés par le soulèvement vendéen ont, en bons robins, préparé l’extermination des « brigands de Vendée » par des lois : les plus importantes sont celle du 1er août 1793 suivie de celle du 1er octobre ?  Tout ou presque a été prévu.

La première loi, présentée en juillet, se flatte de proposer « une mesure naturelle et salutaire », soit supprimer ceux qui ont pris part aux révoltes (en soutien des prêtres réfractaires), ceux qui portaient une cocarde blanche, un chapelet, les prêtres, les nobles, leurs agents et domestiques, les étrangers… les instigateurs… de conspiration contre la République… La peine : l’exécution dans les 24 heures. Pour écraser les « brigands », la loi décide d’envoyer en renfort aux troupes républicaines l’armée des Mayençais (16 000 hommes aguerris revenus d’Allemagne). L’idée d’extermination chemine entre mars et juillet. Donc le 1er août, les choses se précisent : Barère, dans un long discours, fait un tableau des armées républicaines et s’arrête sur le remède républicain qu’il conseille d’administrer à la Vendée. Il faut, dit-il, y envoyer des « matières combustibles de toute espèce pour incendier les bois, les taillis, les granges, les récoltes, les genêts »… abattre les forêts, saisir les bestiaux. Les hommes pris les armes à la main seront exécutés ; les femmes, les enfants, les vieillards seront déportés hors du département. Il termina en expliquant que l’anéantissement de la Vendée allait faire reculer les armées ennemies aux frontières : Il faut détruire la Vendée. Un député de la Vendée, Fayau, régicide, avait appuyé le plan d’incendie général « pour la (Vendée) rendre inhabitable » !

Préparée par Lazare Carnot, la loi du 1er octobre complète celle du 1er août. Après la terre brûlée, les massacres méthodiques des hommes et des animaux. La loi annonce sans périphrase les ordres précis : il faut exterminer. Par tous les moyens. Déjà des représentants en mission des bords de Loire avaient fait des propositions. Elles furent reprises. A la Convention, Barère fait un long rapport de la situation, justifie « les mesures qui tendent à exterminer cette race rebelle » et conclut par une anaphore répétant l’injonction du Comité de Salut public : Détruisez la Vendée… Détruisez la Vendée, Détruisez la Vendée… (lire la suite dans notre numéro…)

Propos recueillis par Jérôme SEGUIN

[1] – Voir son livre Sur les droits de l’Homme et la Vendée (Éd. Dominique Martin Morin, 1995).

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