Autre

L’Inquisition

« L’Inquisition reste dans l’imaginaire collectif un temps de violence et d’abus, le temps d’une justice arbitraire conduite par des religieux fanatiques qui, au nom de Dieu, chassèrent et poursuivirent de leur haine des milliers de personnes dans toute l’Europe, et plus particulièrement dans le midi de la France, entre  Languedoc et Provence. Un temps qui aurait duré tout le Moyen Age.
« Aux hommes et aux femmes de toutes conditions et de tous âges qui ne partageaient pas strictement leur doctrine, ces inquisiteurs acharnés infligèrent les pires tourments, les tortures les plus scélérates, pour finalement les abandonner, sous les injures d’une population en colère, aux flammes du bûcher. Un temps de victimes expiatoires et de boucs émissaires d’un despotisme spirituel. Images de sang, de feu, de cris et de prières publiques, de terreurs, de processions mystérieuses et lugubres. Un temps d’obscurantisme et d’intolérance. Bref, un temps de nuit, d’ignorance, où régnait, victorieuse, la superstition.
« La légende fut bien construite et l’Inquisition espagnole y fut pour beaucoup (…) elle aida à construire une vision délirante de cette organisation ecclésiastique née dans la première moitié du XIIIe siècle. Elle laissa aussi supposer que, dès son origine et partout où elle s’exerça, la justice inquisitoriale, voulue par la papauté, fut toujours l’expression de la cruauté la plus primaire ».
 
Ces quelques phrases sont celles placées par Didier Le Fur en tête de l’introduction de son livre L’Inquisition, enquête historique (France, XIIIe–XVe siècle), paru aux Editions Tallandier, dans lequel il s’efforce de corriger les idées reçues pour éclairer d’un jour nouveau la justice inquisitoriale en France au Moyen Age et mettre en évidence certaines falsifications de l’histoire, privilégiant la vérité historique aux dépens de la légende. Mais réfuter la légende en ce domaine n’est pas entreprise aisée tant la propagande de critique systématique de l’Eglise catholique s’est répandue dans des proportions considérables au  long des huit siècles qui nous séparent de l’époque où l’Inquisition fut instituée en France, principalement pour mettre un terme à l’hérésie  cathare (dite aussi vaudoise ou albigeoise) qui répandait des ravages  dans le Languedoc. Et il est bon de rappeler ici ce que l’on méconnaît beaucoup trop aujourd’hui, du fait de cette propagande.
 
Pour cela il suffit de reprendre les grands traités classiques d’apologétique, parmi lesquels nous avons consulté le Dictionnaire apologétique de la foi catholique contenant les preuves principales de la vérité de la religion et les réponses aux objections tirées des sciences humaines, par M. l’abbé J.-B. Jaugey, docteur en théologie (Editions Delhomme et Briguet, à Paris, 1891) et un autre recueil portant exactement le même titre, établi sous la direction de M. l’abbé d’Alès, professeur à l’Institut catholique de Paris (Editions Gabriel Beauchesne, 24 fascicules parus entre 1909 et 1928). Dans le premier, 16 pages sont consacrées à l’Inquisition, quant au second il expose la question sur 32 pages.
Dans cette copieuse démonstration, nous ne retiendrons que quelques passages convaincants tel celui-ci ( dans le Dictionnaire de l’abbé Jaujey) : « L’Inquisition n’a pas excité le fanatisme et la cruauté (…) Joseph de Maistre et Jacques Balmès ont clairement montré que la peine de mort, pour des crimes contraires à la religion, n’était jamais portée ni surtout appliquée par l’Inquisition en tant que tribunal ecclésiastique ; elle était sanctionnée par les lois civiles qui considéraient ces crimes comme des infractions à la constitution fondamentale de l’Etat, et elle était infligée par le bras séculier auquel l’Inquisition livrait les coupables incorrigibles (voir J. de Maistre, Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole ; J. Balmès, Le Protestantisme comparé au catholicisme) ».
 
Un peu plus loin, nous lisons : « Qu’on le remarque bien d’ailleurs, à moins de renverser les termes de la question, il faut rendre les hérétiques responsables en premier lieu du sang qui a été répandu. C’est le coupable, et non le juge, qui est avant tout responsable du châtiment qui lui a été infligé. Cette vérité générale est plus certaine encore, s’il est possible, quand il s’agit des tribunaux inquisitoriaux. L’Inquisition, en effet, offrait la miséricorde et le pardon aux hérétiques, à la différence des tribunaux séculiers qui jugent le coupable d’après le délit qu’il a commis et ne lui pardonnent jamais. Les hérétiques n’étaient jamais remis au bras séculier, lorsqu’ils reconnaissaient leurs erreurs et sollicitaient la réconciliation avec l’Eglise. Seuls, les hérétiques obstinés ou relaps, c’est-à-dire retombés dans l’hérésie après un premier acquittement, étaient abandonnés à la justice civile. L’Inquisition était principalement un tribunal de pénitence, et elle ne renonçait aux mesures de clémence qu’en face de la rébellion opiniâtre ou de la récidive ».
 
Fondé sur ce postulat, Didier Le Fur développe son étude en trois points : Au commencement ; Son fonctionnement ; Démons et sorcières. Il l’achève par une conclusion qui dément et réfute les légendes contemporaines répandues à foison et délibérément destinées à faire passer l’Eglise pour une vaste entreprise de condamnation sans pitié de ceux qui se sont séparés d’elle ; l’ensemble étant actuellement soigneusement entretenu par les prosélytes de l’antireligion.
 
Afin de ne pas laisser penser que pour défendre les positions de l’Inquisition, nous n’avons pris comme références que des exposés datant de presque un siècle et plus, nous désirons mentionner l’existence d’un excellent volume de réfutation des critiques systématiquement répandues contre l’Eglise catholique : Croisades, Inquisition… Faut-il demander pardon ? (ouvrage collectif publié en 2001 par les Editions du M.J.C.F.). Y sont abordés quelques thèmes « récurrents » dont se délectent les libres penseurs, agnos­tiques et autres sans Dieu (Croisades, Galilée, Saint-Bathélémy, conquête de l’Amérique, esclavage, silence de Pie XII…). Deux importants chapitres traitent du catharisme face à l’Eglise catholique et de L’Inquisition… au service de l’Eglise ?
 
Nous y lisons :
« Il faut rappeler, pour mémoire, que le coup fatal fut porté aux cathares avec la chute de leur sanctuaire, le château de Montségur, le 16 mars 1244 : 200 Croyants et Parfaits, dont l’« évêque » Marty, ultime chance pourtant de sauver leur vie, furent brûlés au bas de la forteresse après avoir refusé d’abandonner la religion.
La lente agonie du catharisme paraît alors irréversible. On trouve encore quelques traces de l’hérésie dans les registres de l’Inquisition, mais il semble qu’elle soit définitivement extirpée dans les premières décennies du XIVe siècle.
Il faut attendre le XIXe siècle, et la montée croissante de l’anticléricalisme en France, pour trouver une littérature qui stigmatise ouvertement l’institution ecclésiastique à travers l’Inquisition et son traitement du catharisme. Vision qui prévaut aujourd’hui largement dans tous les manuels d’histoire faisant référence à la période. »
 
En fin de volume figure un document relatif à la procédure dans le Midi de la France, rédigé dans la première moitié du XIIIe siècle, soit au cœur du drame cathare. Il s’agit de la traduction du Processus per inquisitionem (dont l’original en latin est conservé à la bibliothèque de l’université de Madrid). Il couvre sept pages et montre à quel point étaient sérieuses les procédures d’instruction des hérétiques avant un éventuel jugement.

Jérôme SEGUIN
 
Extrait du n° 21 – nouvelle série (janvier 2013) de Lecture et Tradition
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