Autre

Les établissements charitables soustraits à l’influence de l’Église

INTRODUCTION

L’Église a toujours subi les assauts des impies et aujourd’hui où elle est violemment attaquée, le prétexte allégué est le vice homosexuel de quelques (relativement) rares membres du clergé. Mais l’institution catholique a résisté à vingt siècles de vicissitude, de calamités et de persécutions, et elle a été capable de se réformer vingt fois. C’est Elle qui permettra de résoudre les inquiétudes d’un monde agité de mille tourments. Il suffit de jeter un regard en arrière pour voir quelles fondations admirables avaient fleuri, et de s’en inspirer pour renouveler la société décadente qui est la nôtre.

RAPPEL HISTORIQUE

C’est par haine du christianisme qu’on a retiré à l’Église les enfants qui lui avaient été confiés, et non pour de mauvaises mœurs. Car cette haine ne se limita pas aux écoles, orphelinats, maternités, mais elle s’étendit aux hôpitaux, patronages, asiles et à toutes ces institutions charitables qui constituaient le trésor des sociétés chrétiennes.

Lorsque la révolution de 1789 confisqua les biens du clergé, elle priva les pauvres et les malheureux des soutiens qui les avaient soulagés pendant des siècles ; ils avaient nom : charités, hospices, maisons-Dieu, hôtels-Dieu, refuges…

Car l’inépuisable charité de l’Église avait pourvu à toutes les misères qui affligent toutes les sociétés et même les plus policées : refuges pour les filles-mères, orphelinats pour les enfants abandonnés, hôpitaux pour les malades incurables, asiles de vieillards…

Ce fut essentiellement l’Église qui prit soin des orphelins : l’ordre hospitalier du Saint-Esprit, fondé par Guy de Montpellier vers 1150, recueillait les enfants abandonnés, les pauvres infirmes et les pèlerins. Il pouvait en recevoir 600 à Montpellier. Un siècle plus tard, on comptait 25 établissements de l’Ordre dans toute la France.

A Paris, l’Hôpital des Enfants trouvés recevait les enfants abandonnés qui auparavant étaient exposés (*) : c’est ainsi que de 1640 à 1789 il a recueilli 390 000 enfants. Mais la pratique de l’exposition a subsisté au porche des églises (ce qui fut le cas de d’Alembert exposé à l’église de Saint-Jean le Rond) et, depuis le Moyen Age, on y plaçait une coquille ou un berceau pour y recevoir l’enfant abandonné.

L’étape majeure pour le soulagement de la souffrance humaine fut marquée par l’intervention de saint Vincent de Paul.

Alors que la révolte protestante par les guerres civiles qu’elle avait suscitées, avait saccagé une grande partie des églises, anéanti de nombreux couvents et renversé les asiles de l’enfance, de la vieillesse et de la maladie, elle avait surtout tari leurs ressources, empêché le recrutement des clercs et dispersé les généreux donateurs des aumônes. Une grande misère en était résultée principalement dans les campagnes. Curé de Châtillon-les-Dombes, en Bresse, Vincent de Paul affronta tout à la fois la pauvreté matérielle et spirituelle. Dès août 1617, il établit la première confrérie des Dames de la Charité qui portait secours aux nécessiteux. En 1620, commencèrent les premières missions dans les campagnes : il s’agissait de ranimer la Foi, source de la charité. Et, le 17 avril 1625, fut fondée la Congrégation de la Mission grâce à la générosité du prince de Gondi. Puis, avec l’aide de Louise de Marillac, il fonda la Compagnie des Filles de la Charité, servantes des pauvres malades.

Les Dames de la Charité furent, avec les Filles de la Charité, les grands auxiliaires des entreprises de saint Vincent de Paul : rassemblant des laïques mariées ou non, ces Dames disposaient d’une partie de leur temps et de subsides assez importants pour secourir l’indigence.

En 1638, saint Vincent de Paul s’intéressa à la Maison de la couche à Paris qui recueillait  les enfants abandonnés. Il fit installer le premier tour d’abandon (*) à Paris qui permettait d’y mettre anonymement un enfant en lieu sûr au lieu de l’exposer sur la voie publique. Avec les Filles de la Charité et les Lazaristes, il multiplia les orphelinats, l’assistance aux indigents et l’apostolat dans les campagnes.

Saint Jean-Baptiste de La Salle, quant à lui, se dévoua à l’enseignement des enfants pauvres : il fonda à cette fin les Frères des Écoles chrétiennes en 1679, et l’instruction des classes les plus pauvres fit de rapides progrès.

Par édit de 1656, Louis XIV a institué l’Hôpital général qui devait remédier aux misères consécutives à la guerre et en particulier aux désordres de la Fronde : mendicité, vagabondage, agressions et insécurité, prostitution ; les hôpitaux généraux devaient être des lieux d’internement qui empêcheraient les « cours des miracles » où des bandes terrorisaient les malheureux. Primitivement, la direction en était assurée par les magistrats du Parlement de Paris, qui en avaient rédigé les statuts et qui étaient tous membres de la Compagnie du Saint-Sacrement. Leur but était l’amendement des vagabonds et des délinquants et la fourniture de travail aux internés valides.

Cependant à la dissolution de la Compagnie du Saint-Sacrement en 1660, les magistrats cooptés devinrent peu à peu tous jansénistes et ils firent tout au long du XVIIIe siècle obstruction à l’action de l’Eglise. De forts soupçons de maltraitance, de trafics d’enfants et d’abus sexuels ont pesé alors sur l’institution ainsi soustraite à la vigilance de l’Église (1).

LA RÉVOLUTION ET L’ASSISTANCE PUBLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE

« Si l’exposition est un crime qui ne mérite aucun pardon, il est des cas où l’on doit fermer les yeux sur certains maux pour en éviter de plus considérables…On fait sagement de s’imposer silence, de crainte qu’un excès de rigueur n’engage les personnes qui seraient dans le cas de tomber dans de pareils délits, de se mettre à l’abri de toute poursuite en étouffant les enfants, en les précipitant dans les puits, les rivières ou les latrines. L’exposition ne mérite donc pas de poursuite… »

Le procureur général près le Parlement de Toulouse en 1776

Le nombre des enfants abandonnés n’a cessé de croître tout au long du XVIIIe siècle. A l’exemple de Jean-Jacques Rousseau qui abandonna ses cinq enfants à l’Assistance Publique, beaucoup se déchargeaient des enfants qui leur échoyaient. La misère et les mœurs dépravées expliquent cette situation.

A Paris (seule ville où il y ait des statistiques) on enregistre 3000 abandons par an entre 1640 et 1649 pour atteindre 17 000 abandons annuels entre 1710 et 1719. Le pourcentage d’enfants trouvés par rapport aux naissances a atteint 40 % en 1771-1772 pour s’établir à 33 ou 34 % en 1789 (2).

Pierre Verdier (3) est tout fier de préciser qu’en 2003 sur 350 accouchements sous X, ce n’est qu’une naissance pour 10 000. Il omet tout simplement de comparer ce chiffre à celui des avortements.

P. Verdier, qui est hostile au tour, énumère à ce propos les abus qui en sont résultés pour le décrier.

Le tour fut rendu obligatoire par un décret de 1811. Mais P. Verdier omet un point que relève à juste titre Etienne Lamy (4) : c’est qu’on a confié l’assistance publique à l’État et qu’une armée de fonctionnaires n’a jamais pu remplacer les cornettes blanches des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul.

« L’État est-il un actif protecteur des malheureux ?… Témoigne-t-il sa sollicitude aux assistés par sa bienveillance ?… L’assistance est une administration où chaque homme est un numéro. Et jusque dans les secours opportuns, l’assisté éprouve la tristesse d’être minuscule pour une puissance très lointaine, très impassible, dont les gestes sont mécaniques, dont le cœur ne bat point, de ne sentir entre elle et lui rien de vivant et d’être saisi, mû, rangé, arrimé, mis dehors comme une chose par une chose, l’Administration…

Si l’inertie dans les services, l’indifférence dans les procédés, la cherté dans les dépenses ne sont pas les meilleurs moyens de soulager les malheureux, ce n’est pas pour l’avantage des pauvres que l’on songe à leur assurer ce traitement.

Pour l’avantage de qui ? Des politiques. Pour les politiques de nos jours, le moyen le meilleur de se faire des clientèles est de distribuer des places, et quand elles manquent, d’en créer. Les malheureux sont en assez grand nombre pour que leur service exige beaucoup de fonctions ; d’où beaucoup de désirs à satisfaire et d’influences à s’assurer. Ceux qui veulent créer ces fonctions ne travaillent pas pour les pauvres ; ils travaillent pour eux-mêmes » (5).

La Convention avait voté, le 27 juin 1793, une loi qui proclamait : « La Nation se charge désormais de l’éducation physique et morale des enfants connus sous le nom d’enfants abandonnés et qui seront désormais indistinctement appelés orphelins ».

Belle déclaration dans le vide puisque toutes les institutions charitables avaient été supprimées et que rien ne les remplaçait.

La congrégation des Filles du Bon Pasteur

En effet il y avait eu avant la Révolution une congrégation fondée par une calviniste convertie : Marie-Madeleine de Cyz (1656-1692), veuve d’Adrien de Combé, originaire de Leyde. Vivant pauvrement et humblement à Paris, elle avait recueilli, en 1686, quelques filles débauchées et repen­tantes qui étaient venues se mettre sous sa direction. Le curé de Saint-Sulpice la soutint et le lieutenant de police La Reynie lui assura sa protection contre quelques libertins qui projetaient d’incendier leur maison rue du Cherche-Midi. Louis XIV lui accorda en 1688 une maison plus vaste et quelques faibles secours en argent. Ce qu’il confirma par lettres patentes en 1698. La maison reçut jusqu’à 70 filles repenties qui vivaient de menus travaux et de quelques dons.

La maison fut fermée à la Révolution en 1790 et la Maison des Sciences de l’Homme occupe aujourd’hui son emplacement.

La grande maxime de Madame de Combé pour la conduite de ses filles pénitentes était de gagner leur cœur : « Qu’on mène ailleurs les pécheresses qu’on veut arracher de vive force au mal ; la maison du Bon Pasteur n’est que pour celles qui embrassent le bien de bonne volonté ».

Il y eut d’autres maisons du Bon Pasteur en France aux XVIIe et XVIIIe siècles mais elles n’avaient pas de lien entre elles et elles furent toutes fermées à la Révolution.

La congrégation Notre Dame de Charité du Bon Pasteur

Sainte Marie-Euphrasie Pelletier (1796-1868) fut d’abord, en 1817, religieuse de Notre-Dame de Charité de Tours dans l’ordre fondé au XVIIe siècle par saint Jean Eudes et organisé en monastères autonomes. Devenue la supérieure de la maison d’Angers, elle vit la nécessité d’un changement des structures pour répondre aux problèmes sociaux de l’époque. Elle organisa, d’une part les sœurs de vie active qui devaient former des jeunes filles de la classe ouvrière et leur donner un métier ; et d’autre part des sœurs priantes dites sœurs de Sainte Madeleine vivant en clôture et recrutées  parmi les filles repenties (anciennes prostituées). L’encadrement des diverses maisons qui ont essaimé dans le monde entier est confié à des religieuses issues des meilleures familles de la bourgeoisie libérale ou de l’aristocratie européenne. En France il y avait 35 maisons du Bon Pasteur à la mort de la fondatrice (1868). L’État leur a confié les « filles de justice », jeunes mineures passées devant un juge pour des raisons de protection ou de délinquance.

Notre Dame du Refuge

Le Père Louis-Édouard Cestac (1801-1868) (6) ne semblait pas destiné à s’occuper d’orphelines et de filles repenties, lui qui fut d’abord vicaire de la cathédrale de Bayonne. C’est fortuitement, mais avec l’aide de sa sœur Élise (1811-1849), qu’il commença à recueillir en 1836 quelques fillettes abandonnées errant dans les rues et les chantiers navals de Bayonne. Il les hébergea dans une maison prêtée par la ville : « le Grand Paradis ».

Puis, en 1837, ce sont des filles qui veulent s’extraire de la prostitution qui le sollicitèrent et il fut secondé par Gracieuse Bodin. Cette dernière sera la première supérieure générale de la congrégation des Servantes de Marie, fondée en 1842, et qui comptera plus de 900 religieuses à la mort du P. Cestac en 1868.

Pour ses pénitentes le P. Cestac a acheté, en 1838, à crédit, un domaine agricole à Anglet apparemment inculte : le Châteauneuf qui deviendra Notre Dame du Refuge (7) et abritera la branche contemplative de la congrégation : les Solitaires de Saint Bernard ou Bernardines. Il mourut à Anglet le 27 mars 1868. Parmi ses maximes il convient de retenir :

 « De tous les liens qui retiennent les jeunes personnes dans le devoir, les plus forts, les plus puissants sont ceux de la famille ».

Les Orphelins Apprentis d’Auteuil

En 1866, l’abbé Louis Roussel fonde l’œuvre de la Première Communion et achète, avec l’aide de Mgr Darboy, une maison abandonnée à Auteuil pour y installer les six premiers enfants recueillis dans les rues. Dix ans plus tard, il a la charge de 200 enfants à instruire chaque année. Il ouvre alors des ateliers pour leur apprendre un métier. L’abbé Roussel se retira en mai 1885 et mourut le 11 janvier 1897.

Après une période difficile où se succédèrent l’abbé Fontaine puis l’abbé Blétit, arriva le Père Daniel Brottier en 1923 : il y avait de nombreuses dettes et on ne comptait plus que 170 orphelins.

Le Père Brottier se plaça sous la protection de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, d’abord en construisant une chapelle sous son vocable. C’est ainsi qu’il obtint, en 1929, la reconnaissance d’utilité publique pour son œuvre. En 1936, à sa mort, l’œuvre accueillait 1400 enfants et comptait 14 annexes (lire la suite dans notre numéro).

CUSTOS

* – NDLR. L’exposition consistait à abandonner les enfants de façon visible afin qu’ils soient recueillis.
* – NDLR. Un tour d’abandon était un lieu où les mères pouvaient laisser de manière anonyme leurs nouveaux-nés pour qu’ils y soient trouvés et pris en charge.

1 – Marion Sigaut, La Marche rouge (Editions Actes Sud, 2013).
2 – Histoire de l’Aide sociale à l’enfance et de ses bénéficiaires, par Pierre Verdier.
3 – Ancien directeur de la DDASS de la Meuse et de la Moselle, hostile à l’accouchement sous X et au tour.
4 – Homme politique et essayiste (1845-1919).
5 – Introduction à P. Coste : « Saint Vincent de Paul et les Dames de la Charité » (Paris, 1917).
6 – Abbé Bordarrampé, Le Vénérable Louis-Edouard Cestac (Bayonne, 1928).
7 – Par ses dons extraordinaires, il en fera un modèle de développement agricole au point qu’en 1857 il fut élu président du comice agricole de Bayonne.
Extrait du n° 50 – nouvelle série (juin 2015) de Lecture et Tradition
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