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Le Roman de Saint Louis, par Philippe de Villiers

Il y eut le Sire de Joinville et plus près de nous Régine Pernoud, Jean Richard, ou encore Jacques Le Goff, la liste n’étant pas exhaustive. Il y aura désormais Philippe de Villiers. Le « vicomte du Puy du Fou » dont nous connaissions déjà les talents littéraires, nous régale avec son nouveau roman consacré cette fois au plus grand de nos rois et le seul saint, Louis IX, dit Saint Louis. Mais peut-on encore ajouter quelque chose de neuf à la biographie d’un si considérable personnage au sujet duquel tout a été dit ou presque ?
L’exercice peut sembler bien difficile et notre auteur reprend une formule qui lui a si bien réussi avec son précédent ouvrage, le Roman de Charette (1). En effet, l’ouvrage est écrit à la première personne, et en faisant parler le grand roi, l’écrivain nous fait pénétrer dans son intimité, et restitue toute la saveur de la langue de l’époque, avec des tournures de phrases exquises et un vocabulaire directement issu du Moyen Âge qui pourra parfois surprendre les lecteurs les moins au fait du parler médiéval et nécessiter l’usage d’un dictionnaire. Pour autant, ne boudons pas notre plaisir, car le livre dont le style est limpide et lyrique – Philippe de Villiers est aussi un poète et un conteur – se lit d’une traite et n’a de roman que le nom.
Pour ce faire, il n’a rien inventé, a consulté d’innombrables sources y compris des chroniques arabes de l’époque pour faire revivre au plus juste et au plus près son héros. Il s’agit donc bien d’un véritable essai historique, mais sans la sécheresse que peut présenter une étude  universitaire, d’où le beau titre de « roman », ce qui n’empêche pas Monsieur de Villiers de se livrer à quelques facéties et autres clins d’œil adressés, au détour d’une page, à ses chers Puyfolais (p. 163). Sans déflorer le sujet, qu’il nous soit permis pour l’édification du lecteur de tracer à grands traits les principaux éléments constituant le roman et la vie du roi.

Lorsque Louis IX accède au trône, il hérite d’un contexte politique difficile. Certes, la monarchie capétienne est désormais solidement établie dans le royaume de France et son grand-père, Philippe II Auguste, a considérablement raboté les prétentions et les territoires de la dynastie d’Angleterre. Le petit Louis de Poissy est né l’année même de la bataille de Bouvines, en 1214. Lorsque son père Louis VIII meurt prématurément (1226), c’est sa mère, Blanche de Castille, qui assure la régence, car il est mineur. Il faut alors faire face à plusieurs menaces : celle des Plantagenêt qui n’ont pas renoncé à leurs territoires perdus, celle des grands féodaux qui n’attendent qu’une occasion pour redresser la tête et qui supportent mal l’empiètement de l’autorité royale sur ce qu’ils estiment être leurs prérogatives seigneuriales, celle de l’Islam qui a repris l’offensive en Terre Sainte et a réduit les possessions franques du royaume latin de Jérusalem à une peau de chagrin, celle des Mongols de Gengis Khan qui déferlent sur l’Asie, le Moyen-Orient, l’Europe centrale et orientale et font trembler non seulement la chrétienté mais le monde, enfin, celle des Cathares, dont l’hérésie menace la stabilité et la cohésion interne du royaume.
Mais le petit Roi a reçu une éducation remarquable et a connu l’influence bénéfique de ses deux grands-pères, Philippe Auguste et Alphonse VIII de Castille, l’un vainqueur des Anglais, l’autre vainqueur des Maures. C’est surtout sa mère, une femme admirable, qui va progressivement l’élever à la dignité royale et lui faire prendre conscience de la hauteur et de la grandeur de la fonction. Sacré roi à Reims en 1226, il lutte d’abord contre les féodaux et les réduit un à un. Pierre Mauclerc le duc de Bretagne, Lusignan, Thibaud de Champagne, et bien d’autres encore feront ainsi leur soumission. C’est ensuite la guerre contre les Anglais et la magnifique victoire de Taillebourg sur Henry III. En 1234, il se marie avec Marguerite de Provence qui lui apporte en dot sa belle province. Le couple, très uni, aura une nombreuse descendance.
Un autre conflit, d’ordre politique et spirituel celui-là, l’oppose un temps au pape car le Capétien n’entend pas soumettre son autorité temporelle à celle du successeur de saint Pierre. Le roi est « empereur en son royaume ».
La grande affaire qui occupe tout son esprit demeure la croisade, il en fera deux, entre 1250 et 1254 pour la première, puis en 1270. La seconde lui sera fatale. Tout en lui tend vers ce but et il n’hésitera pas à sacrifier sa famille, sa couronne, sa santé, sa vie pour libérer les lieux saints tombés aux mains des infidèles.
Quel bilan peut-on tirer de ce long règne de 44 ans ? A sa mort, la France est la première puissance d’Europe et la plus prestigieuse. Le roi a pu imposer sa loi et la justice royale prend désormais le pas sur les justices seigneuriales.  La monnaie royale créée par saint Louis est devenue monnaie du royaume, le domaine royal tend à se confondre avec le royaume de France, le roi, de suzerain, est devenu un souverain. Surtout, ce qui fait la grandeur de Louis IX, c’est sa sainteté et son courage politique.
A cet égard, l’ouvrage de Philippe de Villiers peut également se lire comme un manuel « de bonne gouvernance » à l’usage de n’importe quel chef d’état. Certains seraient bien inspirés d’y puiser de judicieux conseils dans l’art de gouverner et, si l’on en juge par l’état actuel de notre pauvre pays, on ne peut que regretter que nous n’ayons plus de chefs d’état de cette trempe, car saint Louis, c’est aussi, c’est surtout le modèle du monarque qui tenta et réussit à mettre en pratique les principes philosophiques issus d’Aristote et du Thomisme sur le gouvernement de la Cité et le bien commun.
A aucun moment durant son règne la raison d’état ne l’emporte sur la morale et le roi nous donne par avance réponse à toutes les questions que nous nous posons aujourd’hui sur l’autorité légitime, sur les bonnes ou les mauvaises lois et sur l’obéissance qui leur est due, sur la séparation entre le spirituel et le temporel qui ne se réduit pas à leur divorce, sur l’irréductibilité du Christianisme à l’Islam, sur la soumission de l’autorité humaine à l’autorité divine, etc. A lire le testament spirituel destiné à son fils, le futur Philippe III le Hardi, on comprend l’importance que revêtait pour le roi la charge du gouvernement vécue comme un sacerdoce et un sacrifice pour son peuple et son pays, et on se prend à rêver à ce que pourrait être pour notre malheureuse nation le retour sur le trône de France d’un digne rejeton de l’arbre capétien qui aurait à cœur de tout restaurer dans le Christ.
Claude BEAULÉON

(1) Ed. Albin Michel, 2012. Voir nos numéros (nouvelle série) 23 (mars 2013) et 26 (juin 2013).

Extrait du n° 33 – nouvelle série (janvier 2014) de Lecture et Tradition
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