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Le Risorgimento

En 2010, une publication italienne, Instaurare omnia in Christo (*), a publié une longue étude sur le Risorgimento, présentant ce mouvement comme une révolution antichrétienne à caractère gnostique.

Rappelons que ce terme, qui signifie “renaissance” ou “résurrection” fut appliqué, au XIXe siècle, au mouvement qui aboutit à l’unité italienne. En cette année 2011 l’Italie officielle en a célébré le 150e anniversaire, avec grande solennité, mais en occultant totalement son caractère satanique. C’est la raison pour laquelle il nous semble intéressant et important de publier ici cette étude qui va à contre-courant des idées reçues.

L’auteur se nomme Samuele Cecotti. L’article ci-dessous, traduit de l’italien par Marie-Rose Mezzaroba, nous a été communiqué par Etienne Couvert qui estime que son contenu correspond en tous points à ses travaux.

La rédaction

NB : Nous reproduisons sans modifications le texte tel qu’il nous a été transmis en ne corrigeant pas les quelques minimes erreurs de style et de vocabulaire. Par ailleurs, la traductrice, dans les notes, a transposé en français les titres originaux des références des livres et revues parus en italien.


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Quoiqu’on en dise, l’histoire du (soi-disant) Risorgimento est non seulement légitimement passible, en vertu du statut épistémologique même de la science historique, d’interprétations “révisionnistes”, mais elle semble même ne pas être véridique : en effet, les résultats les plus récents obtenus par la recherche historique imposent de rejeter comme non véridique l’image du Risorgimento inculquée aux Italiens, pendant un siècle et demi, dans les écoles de tous ordres et degrés, et proclamée, aujourd’hui encore, par les Magistratures républicaines.
Les liturgies commémoratives, confiées à la régie du président Sciampi (remplacé, à présent, par le président Amato) pourront certainement répandre dans le pays un peu de rhétorique et ce patriotisme constitutionnel qui trouve dans le Risorgimento et dans la Résistance, ses propres mythes fondateurs, mais tout cela ne change en rien les résultats auxquels est arrivée l’historiographie honnête.
Comme l’admettent les protagonistes eux-mêmes, le processus qui conduisit à l’unification de l’Italie au sein de l’Etat libéral de la Maison de Savoie, fut un événement révolutionnaire – « la révolution ce n’est pas simplement le fait de chasser les étrangers pour libérer la maison que le destin nous donna et pouvoir y vivre plus aisément » (1) – c’est là un jugement de fond sur la nature même du Risorgimento comme Révolution italienne (2).

UN MOUVEMENT RÉVOLUTIONNAIRE, MYTHE FONDATEUR DE L’ITALIE UNIFIÉE (*)

Le mot Risorgimento est un de ces mots qui, depuis plus d’un siècle, évoque chez tout Italien qui possède son certificat d’études, les pages du vieux manuel de CM2, la prose débordante, rhétorique et patriotique du livre classique italien pour l’enfance Cuore de Edmondo De Amicis, l’émotion sincère de l’institutrice qui raconte les souffrances des patriotes sous le joug autrichien.

Le Risorgimento ce sont les « guerres d’indépendance » étudiées en classe, ponctuées de dates et de batailles, l’épopée des mille chemises rouges qui, sous le commandement du héros des deux mondes, « ont libéré » le Sud du mauvais gouvernement des Bourbons, le drapeau tricolore qui flotte au vent à Rome après la prise de Porta Pia, mais aussi, sur un plan moins scolaire, la place “Garibaldi”, peut-être même avec une plaque commémorative du bref passage sur les lieux du Général, ou le monument équestre du Roi Gentilhomme dont peu de communes italiennes peuvent regretter l’absence.
Le Risorgimento serait le soulèvement héroïque d’une nation après des siècles d’humiliations, de décadence et de divisions pour se réapproprier son propre destin, son action même pour faire son entrée de façon tardive et pour cela, justement, inévitable dans l’histoire des Etats nationaux européens. C’est là le Risorgimento des manuels d’histoire pour l’école et de l’historiographie officielle de l’Etat célébrée par des liturgies, des commémorations, des homélies, par les autorités du Royaume, d’abord, par les magistratures de la République, aujourd’hui, comme fondement de la religion civile de l’Italie.

Le Risorgimento c’est beaucoup plus qu’une réalité historique, c’est le mythe fondateur de l’Italie unifiée et, tout comme la Résistance – deuxième mythe fondateur à valeur métahistorique – appelée (et ce n’est pas par hasard) deuxième Risorgimento, il est ainsi élevé au rang de dogme laïc, c’est-à-dire à un ensemble de valeurs fondamentales. En effet, ce n’est pas de la réalité des faits historiques par induction, que l’on extrait l’enseignement moral mais, après avoir défini un but idéologiquement déterminé, on demande à l’histoire d’en révéler l’épiphanie, et, si les faits devaient démentir l’idéal, tant pis pour eux puisque l’histoire, pour les mythes fondateurs, a une valeur purement instrumentale par rapport au but idéologique.
Certaines naïvetés historiographes ou une certaine rhétorique d’Etat sont motifs à sourire, sinon d’embarras, pour le monde académique, même pour celui qui est le plus sensible aux sirènes de l’idéologie nationale. Mais, on le sait, la vulgarisation, en particulier sur le plan scolaire, et la vérité officielle de l’Etat sont toujours en retard par rapport aux avancées de la recher­che. Il n’empêche que, pour beaucoup d’historiens nationaux, le Risorgimento est encore un tabou (3), et appartient au patrimoine de la culture “officielle” italienne. L’idée du Risorgimento est considérée comme la répon­se “providentielle”, dans l’acception la plus large du terme, à la plainte séculaire de l’Italie, chantée par tant de nobles plumes.

UNE NOUVELLE RELIGION HUMANISTE

Mais, avant même la controverse sur le jugement de valeurs, en ce qui concerne le Risorgimento comme unification politique de l’Italie, il est de notre devoir de discuter de la définition même du Risorgimento, sans tenir pour escomptée son identification avec le processus de l’unification territoriale. « Il est nécessaire, donc, pour pouvoir parler de Risorgimento, de le définir » (4). Ce furent, par exemple, Rota, Rodolico et Cognasso, ce qu’on peut appeler l’interprétation “nationaliste”, qui le définirent comme un processus qui conduisit à l’unité de l’Italie à travers « l’expansion progressive du règne de Piémont-Sardaigne par l’action de la mission nationale de la Maison de Savoie » (5), mais cette définition ne rend pas compte des instan­ces plus profondes du Risorgimento lui-même, bien présentes au contraire dans la célèbre définition de Carducci : le Risorgimento, « c’est la recherche et la présentation des oppositions et des accords entre les initiatives novatrices et les traditions conservatrices dans le but de restaurer ou d’instaurer l’esprit moderne et l’empreinte nationale dans les productions de l’imagination et du sentiment : c’est une histoire contemporaine et consensuelle par rapport à l’autre d’une même restauration ou instauration dans les doctrines philosophiques et morales et dans les institutions et les ordres politiques : elle commence en 1749 et elle va jusqu’en 1870 (6).
Pour Carducci ce n’est pas l’unification de la Péninsule en un unique état qui constitue l’essence du Risorgimento. Il faut plutôt chercher celle-ci dans le changement radical (de nature idéologique) dont le processus d’unification n’est qu’un simple instrument. « Selon cette interprétation, le Risor­gimento, bien qu’on ne puisse l’identifier immédiatement – comme le soutient par exemple Luigi Bulferetti – à la Révolution française (7), est la période historique pendant laquelle on assiste à la tentative d’instaurer une nouvelle religion; une religion qui vient de l’humanisme utilitariste du XVIIIe siècle mais qui a pour but d’instaurer ce nouvel ordre, qu’on appelle l’individualisme moral […]. Luigi Salvatorelli, par exemple, affirme que le Risorgimento est un processus spirituel qui culmine avec la formation et l’affirmation de la  personnalité humaine (8) […]. Avec les mots de Walter Maturi, nous pourrions donc dire que le Risorgimento compris au sens strict, c’est l’époque pendant laquelle on instaure une nouvelle éthique individuelle et sociale qui considère que le but suprême de la société doit être le développement complet de la personne humaine (9). Le Risorgimento italien est donc […] un épisode de la grande Révolution comprise dans un sens théorétique, c’est-à-dire comme la négation de l’ordre naturel ; c’est le moment de l’affirmation du libéralisme » (10).
De nombreux auteurs illustres sont en accord avec la définition philosophico-politique énoncée par Carducci. On sait de quelle façon Gioacchino Volpe  « sentit que l’Europe et l’Italie, respectivement avec la Révolution et le Risorgimento, s’approprièrent le libéralisme » (11). La liberté comme indépendance de la domination étrangère qui, selon l’interprétation commune, est la valeur suprême et la raison d’être du Risorgimento, se révèle, à la lumière d’une analyse plus attentive, ne plus l’être autant, sans poser problème, « au contraire, l’indépendance et l’unité de l’Italie représentèrent, tout au plus, l’instrument pour lire l’histoire et la tradition italienne d’une manière anticatholique et pour introduire une organisation juridique tendant à instaurer un désordre radical » (12).
Si les raisons des princes, injustement dépossédés (parmi lesquels se trouve le pape) sont un motif suffisant pour corroborer l’opposition à l’unification de l’Italie (c’est la raison, juste mais partiale, de ceux que l’on nomme les légitimistes dynastiques) et si cette même interprétation “nationaliste” ne peut être acceptée par un catholique dans ses fondements implicites (13), c’est néanmoins l’idéologie du Risorgimento (14) qui explique pleinement l’opposition catholique au nouveau Royaume d’Italie.

(*) N° 2, 39 e année, mai-août 2010 (Casella postale n. 27 Udine Centro, I- 33100 Udine, Italie).
(1) T. Gallarati Scottig, Mazzini et son idéalisme politique et religieux, Ed. L. F. Cogliati, Milano 1904, p. 29.
(2) Le chanoine turinois Mons. Attilio Vaudagnotti nous rappelle que « la révolution c’est une rupture violente avec l’ordre […] Le Christianisme n’a rien à voir avec un tel cadre […] L’esprit révolutionnaire est donc aux antipodes de l’esprit du Christianisme » (A. Vaudagnotti, Le caractère antirévolutionnaire du Christianisme, in Le scribe de la très Sainte Trinité, Année XLII, 1er mai 1978, n° 9, pp. 65-68) ; une réflexion utile sur la nature de la révolution nous est offerte in P. Correa de Oliveira, Révolution et contre révolution. Ed. dell’Albero, Turin 1964.
(*) Tous les sous-titres sont de notre rédaction, afin d’ “aérer” le texte.
(3) Le Risorgimento est un tabou dans le sens que son interprétation officielle est imposée comme “vérité nationale” même par des historiens dont les études, plus ils progressent dans leurs recherches, leur révèlent la distance entre le fait historique et le mythe du Risorgimento ; cela dévoile la nature idéologique de l’adhésion au mythe défendu, non pas parce qu’il est historiquement fondé, mais parce qu’il est utile pour donner une valeur et fournir du pathos aux principes, libéraux et laïques, auxquels il est impossible de renoncer. Tout cela est cohérent avec la logique propre du langage idéologique qui « ne dit pas les choses parce qu’elles sont vraies, mais pour obtenir un certain effet et en cela il révèle sa nature purement instrumentale » (E. Samek Lodovici, Métamorphose de la gnose. Représentations de la dissolution contemporaine. Ares, Milan 1979, p. l12).
(4) D. Castellano, La rationalité de la politique, Ed. Scientifiche Italiane, Naples 1993, p. 7.
(5) Idem, p. 90.
(6) G. Carducci cité par L. Bulfaretti, Le Risorgimento dans l’historiographie contemporaine, in AA. VV., Nouvelles questions sur l’histoire du Risorgimento et de l’Unité de l’Italie, vol. l, Marzorati, Milan 1961, p. 7.
(7) L. Bulfaretti cité précédemment, p.33
(8) L. Salvatorelli, Pensée et action du Risorgimento, Einaudi, Turin 1962, p. 52.
(9) W. Maturi, Partis politiques et courants de pensée dans le Risorgimento, dans AA. VV., Nouvelles questions d’histoire à propos du Risorgimento et de l’unité de l’Italie, cit. p. 41.
(10) D. Castellano, La rationalité de la politique, cit. pp. 93-94.
(11) Idem, p. 95.
(12) Idem, p. 95.
(13) D. Castellano, La rationalité de la politique, cit. pp. 90-91 (en particulier note 3 p. 9l).
(14) « Le libéralisme et les tendances qui s’en sont historiquement dégagées, se présentaient com­me une antithèse radicale du catholicisme. » (P. Rizza, Ambiguïté du Risorgimento, in “L’Alfiere”, année XX, n° l, janvier 2008, p. 11).

Extrait du n° 8 – nouvelle série de Lecture et Tradition (décembre 2011)

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