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Le miracle du Saint Suaire

Légitime objet de la vénération des adorateurs du Fils de Dieu crucifié, le suaire de Turin est plus que jamais la cible d’attaques acharnées. La revue Sciences et Avenir, dans son n° 767 de janvier 2011, repart à l’assaut. L’auteur, L. Demaxey, parle de polémiques. C’est inévitable en une affaire montée pour déconsidérer une religion et annoncée sous cette intention.
Imprimer l’injure « obscurantisme » en gros titre, c’est insulter les gens qui vénèrent une Personne que le Coran lui-même honore, et leur refuser la liberté de penser.
L’auteur vante une nouvelle analyse, effectuée par Timothy Juil (collaborateur d’Edward Hall au laboratoire de Tucson en Arizona) sur un échantillon conservé de la datation par le radiocarbone en avril 1988.
Cette affaire est tellement enfouie sous une masse d’approximations irrecevables et de contradictions que les milieux scientifiques en refusent les conclusions. Nul ne peut accepter cette datation présentant une marge de plus d’un siècle : 1230-1360 pour un tissu du XIIIe siècle, soit un intervalle d’erreur de 130 ans sur 600 BP (1).
Il faut donc partir de zéro en s’appuyant sur ce qui est certain. A la tête de l’Académie des Sciences, Pierre Perrier a souhaité que soit éclairci ce « pénible épisode de la fausse datation du linceul » dont la vérité intrinsèque est aveuglante, mais l’authenticité extrinsèque rejetée.
Tout d’abord, l’histoire du Saint Suaire s’étale sur 2000 ans.
Sa première mention se trouve dans les Evangiles. Saint Jean dit qu’au matin de Pâques, « il se rendit au tombeau suivi de Pierre. Celui-ci y pénétra et vit les bandelettes déposées, et le suaire (Soudarion) qui enveloppait la tête, non pas posé avec les bandelettes, mais roulé à part. Alors le disciple premier arrivé entra à son tour: il vit et il crut. Car jusqu’alors ils n’avaient pas compris l’Ecriture ni qu’Il devait ressusciter des morts » (Jean 20, 7).

Ce linge précieux est d’abord conservé à Jérusalem comme l’attestent les Pères, notamment saint Jérôme en 400. Ayant échappé aux Perses au VIIe siècle, il sera mis en sécurité au palais impérial de Byzance. Saint Jean Damascène le mentionne au VIIIe siècle dans son De Imaginibus, Constantin Porphyrogénète en décrit au Xe siècle les empreintes relevées par Justinien, et le roi de France Louis VII le vénère à Constantinople en 1147.
En 1204, donc avant sa datation au carbone 14, cette relique est sauvée par un Charpigny, au siège de Constantinople dont l’empereur Isaac II Ange s’était allié à Saladin contre les Croisés. En 1205, l’empereur byzantin réclame à Innocent III la restitution de « cet objet sacré entre tous, le Saint Suaire ». Le n° 130 d’Archeologia (mai 1979) observe que les Croisés désiraient « ramener en Occident les saintes reliques dont le Saint Suaire était la plus connue et la plus vénérée ».
Il est transféré de Morée en Champagne par Agnès de Charpigny, épouse en 1316 de Dreux II de Mont-St-Jean, sire de Charny, dont le frère Geoffroy édifie pour sa conservation la collégiale de Lirey.
Ainsi, les siècles ont vénéré sous le nom de suaire un linge sacré incomparable localisé successivement de Jérusalem à Constantinople puis à Lirey, avant d’être transféré à Chambéry puis Turin.
Actuellement, une certitude concerne le suaire en tant que tissu. Parmi tous les textiles connus le type chevron à base de sergé 3/1 est extrêmement rare. Le verdict du spécialiste mondial en textiles, Gabriel Vial est celui-ci : tissé en Orient selon une méthode archaïque dont la trame est irrégulière, le suaire est unique. Contrairement aux autres linceuls, façonnés à la pièce, il provient d’une étoffe tissée en grande longueur coupée à la demande pour Joseph d’Arimathie (Mat 27, 59. Marc 15, 46; Luc 23, 53).
Venons-en à l’épisode de la datation au carbone 14, Le document de référence est le compte-rendu paru le 16 février 1989 dans la revue Nature, n° 6200, pp. 611 s., sous la signature de Paul Damon, sous le titre Radiocarbon dating the Turin Shroud. Ce compte-rendu présente les éléments de travail, les résultats des mesures dans les trois laboratoires concernés, Oxford, Zürich, Tucson et les diagrammes correspondants.
Pour être objectif, il faut rappeler les événements.
Cc n’est pas UN objet qui a eté soumis à datation, mais TROIS + UN surnuméraire, ce qui ne pouvait que favoriser des confusions. D’obscures tractations ont fait désigner le docteur Michael Tite du British Museum, adversaire déclaré de l’authenticité, pour diriger les manipulations et placer les objets sous tubes scellés, dans la sacristie de Turin.
Dès le 12 février 1988, par une lettre connue, Tite prie le docteur Jacques Evin, à Lyon-Villeurbanne, de lui procurer « un lin médiéval identique au suaire quant au tissage et à la couleur ».
Parmi les objets à analyser, le n° 2, « tissu du XIIe siècle » sera sans incidence dans l’affaire.
Le n° 3 est annoncé comme « lin associé à la momie de Cléopâtre (princesse de 11 ans), du milieu du IIe siècle, provenant de Thèbes ». Il a été daté en 1987. Dimension, selon Nature : « bande de 7 x 1 cm », poids 53,7 mg.
Le n° 4 (surnuméraire), a été prélevé subrepticement par Evin à Saint-Maximin sur la chape de saint Louis d’Anjou (XIIIe). Le docteur Tite ne l’ayant reçu, des mains de Georges Vial, qu’au dernier moment, à cause d’une grève des postes, il le transmit aux laboratoires, non en tubes scellés comme les autres, mais sous enveloppes papier. Le laboratoire d’Oxford le confirme. La pièce essentielle, le n° l, est finalement préparée à Turin le 21 avril 1988, jour où, dans la sacristie de la cathédrale, le docteur Tite place sous tubes scellés, d’une part les retailles de la découpe effectuée sur le suaire par le professeur Giovanni Riggi, d’autre part les échantillons provenant des objets 2 et 3. Ces pièces et les enveloppes 4 sont aux mains des laboratoires le 23 avril 1988.
On note que, dès le départ, aucun objet n’est susceptible de dater du Ier siècle, à part le suaire.
Les premières mesures obtenues sont communiquées au docteur Tite en mai 1988. Malédiction ! Elles attribuent au suaire une date de confection (vers 1370) postérieure à son ostension historique à Lirey (1350). Ce chiffre est soupçonnable ! Le docteur Tite demande donc de revoir les mesures, ce qui prend du temps ; de sorte que l’ouvrage de son ami David Sax, Le Suaire démasqué, est imprimé avant la publication des résultats.
Mais l’effet le plus fâcheux des rectifications faites est que, pour les scientifiques, désormais, le test statistique de Pearson ou du χ2 dénonce sans contestation une anomalie dans les mesures invalidant les datations. Leur dispersion insolite éclate dans les diagrammes de Nature. L’écart entre les mesures d’Oxford et celles des autres laboratoires est tel qu’on se demande s’ils ont travaillé sur le même tissu.
Les enquêtes pleuvent alors concernant les échantillons, spécialement leurs poids et dimensions.
Selon Nature, les échantillons du Suaire proviennent « d’une bande de 7 x 1 cm » divisée en trois morceaux identiques. Malheureusement, au témoignage de Franco Testore qui tenait la balance à Turin, le prélèvement opéré par Riggi sur ledit suaire avait abouti à une bande de 81 x 16 mm, mal divisée, de sorte qu’un échantillon était en deux morceaux. C’est Teddy Han qui le reçoit à Tucson (Arizona) le 23 avril 1988, et Paul Damon et Douglas Donahue en font une photo. De son côté, en avril 1990, Timothy Juil confirmera à ses collègues d’Oxford et Zürich la réception à Tucson de cet échantillon double.
D’où ce constat stupéfiant:
– 23 avril 1988, à Tucson, Paul Daman prend la photo montrant les DEUX morceaux du Suaire, de 40 et 14 mg, devant le tube N° 1 et son sceau.
– 16 février 1989, Paul Damon & al. publient dans Nature que l’échantillon « suaire » est UN des trois morceaux pris dans une bande de 53,7mg. Ainsi, la bande de 81 x 16 mm et 144,8 mg prélevée à Turin a pris les mêmes dimension et poids, 7 x 1 cm et 53,7 mg, que ceux de l’échantillon n° 3.
C’est de ces magiques échantillons à géométrie et poids variables dont dispose Timothy Jull.
Suivra, pour éclaircir ce mystère, une série d’explications aussi contradictoires que rocambolesques des divers acteurs expliquant leurs erreurs involontaires.
Finalement, l’échantillon 3 se trouve daté de peu avant l’an 33. Cela signifie que l’une des datations de ce tissu soit en 1987 (« milieu du IIe siècle »), soit en 1988, est fausse. Par ailleurs, il serait douteux qu’une princesse ait été ensevelie dans un linge vieux d’un siècle. En revanche, peu avant 33, c’est la date du linceul du Christ.
Pourtant, les acteurs du drame excluent toute confusion éventuelle entre deux ou plusieurs échantillons.
Comment, dès lors, expliquer ce gâchis de résultats discordants, d’une imprécision antiscientifique ?
C’est ici qu’intervient une double interrogation capitale jusqu’alors négligée. Celle de l’état du tissu à l’endroit du prélèvement et celle de la fiabilité de la datation radiocarbone dans le cas d’altérations subies. En effet, la chronométrie au radiocarbone n’est pas sûre. Elle repose sur des postulats incontrôlés :
– que la production de carbone 14, d’origine solaire, serait régulière ;
– que sa diffusion sur le globe et ce qu’il contient serait uniforme ;
– qu’aucune cause ne puisse faire varier les taux existants.
Car les mesures au radiocarbone ne donnent pas des dates, mais des taux. Or, on sait maintenant que les taux relatifs de carbone 13 et de carbone 14 dans une quelconque cible organique peuvent être altérés. Entre autres causes, l’effet de la chaleur associée à une hydratation.
Or, précisément, vérification faite, l’échantillon du suaire a été prélevé exactement dans une zone brunie et tachée sous l’action simultanée de la chaleur de l’argent fondu du reliquaire et de l’eau déversée contre le feu. Testore lui-même reconnaît, en 1990, qu’il provient d’une zone plus ou moins noircie et qu’il a observé « un avancement de l’oxydation et de la dégradation des fibres ».
Dans ces conditions précises, les expériences ont montré que le taux de carbone 14 peut s’élever de manière à induire un rajeunissement de datation jusqu’à plusieurs siècles.
Ces expériences ont été conduites à Moscou, de 1993 à 1996 sous la direction de Madame van Oosterwyck-Gastuche, et entérinées par l’Académie des Sciences de Moscou. Elles montrent que le chronomètre de Libby (carbone 14) n’est pas fiable, en raison de variations induites, soit par la chaleur humide, soit par des conditions écologiques, soit par des attaques microbiennes ou autres… Madame van Oosterwyck a publié en septembre 1999 Le radiocarbone face au linceul de Turin où elle déplore que ce qui a guidé la campagne de datation, ce n’est pas le radiocarbone, « qui date faux », mais des « croyances » dites scientifiques incapables de traiter objectivement les problèmes posés.
Ce qui a motivé ses travaux, c’est la multitude de datations aberrantes publiées, certaines renvoyant à la préhistoire des objets médiévaux, ou datant de 26000 ans des coquilles d’escargots de l’année, ou assignant des âges dans l’avenir. La présumée constance de la production de carbone 14 au cours du temps et de sa diffusion dans les objets terrestres n’a pas été suffisamment vérifiée.
En ce qui concerne le suaire, le physico-chimiste Heller, qui en a analysé les fibres en 1983, a constaté qu’elles étaient partiellement amorphisées à l’endroit du prélèvement et que, si le tissu n’a pas été consumé bien que la température de fusion de l’argent soit de 960°, c’est parce que la réaction s’est opérée en l’absence d’oxygène.
Madame van Oosterwyck reprend les datations du suaire en y intègrant un test laissé dans l’ombre: un fil prélevé dans un coin nommé de Raes, fut daté an 1000 à une extrémité, an 200 à l’autre. Elle dresse alors la courbe des datations en fonction de la distance de la tache due à la chaleur. Cette courbe plonge régulièrement (dans l’ordre Arizona, Zürich, Oxford, Raes 1, Raes 2) vers l’époque du Christ, au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la zone brunie du tissu.
Ainsi retrouve-t-on la date de confection du textile, et celle de la prodigieuse découverte sur le suaire, par le traitement informatique, de deux monnaies de Ponce Pilate, d’existence ignorée pendant 2000 ans (donc de tous les faussaires possibles) et dont, recherches faites, la numismatique a confirmé l’authenticité.
C’est sur de magiques échantillons à géométrie et poids variables, dont l’altération confirmée ne permet pas de tirer une datation fiable, que Timothy Juil repart à l’attaque contre le linge vénérable. Quant à la publicité antiscientifique et à visage haineux donnée à des datations irrecevables elle aura obtenu, par une réaction logique, une recrudescence de vénération du Saint Suaire.
Pour ce qui est de l’Eglise, elle ne peut qu’être neutre en archéologie. Ce n’est pas son domaine.
Ce qu’elle revendique hautement, en revanche, c’est la liberté d’adorer le Sauveur en son image. Or nul ne peut contester que le suaire est le miroir de sa Passion, de sa Mort et de sa Résurrection.
L’un des chercheurs qui se sont penchés sur ses énigmes scientifiques, John Jackson, s’intéressait aux contrastes de l’image. Le docteur Bill, du laboratoire stratégique d’Albuquerque, lui propose alors de l’analyser au V.P.8, conçu pour la conversion en 3 dimensions des images de satellites. Soudain leur apparaît la figure hallucinante d’un homme flagellé et crucifié. Insoutenable !… « Bill ! Te rends-tu compte? Nous sommes les premiers à voir le Christ dans son tombeau ! »
Avant eux, c’est cette image déchirante et sacrée qu’ont eue jour et nuit sous leurs yeux les pauvres Clarisses de Chambéry chargées de réparer les atteintes du feu. La page émouvante où elles rendent compte de leur ouvrage est de celles d’où jaillit la lumière divine.
« Durant ce travail, tous nos entretiens étaient avec Dieu ; nous repassions la vue sur toutes les plaies sanglantes de son corps sacré dont les vestiges paraissaient sur ce Saint Suaire ; il nous semblait que l’ouverture du sacré côté, comme la plus éloquente du cœur, nous disait incessamment ces paroles : 0 vos qui transitis per viam attendite et videte si est dolor similis sicut dolor meus.
« En effet, nous voyions des souffrances qui ne se sauraient jamais imaginer ; nous y vîmes encore les traces d’une face toute plombée et toute meurtrie de coups, sa tête divine percée de grosses épines d’où sortaient des ruisseaux de sang qui coulaient sur son front et se divisaient en divers rameaux le revêtant de la plus précieuse pourpre du monde.
« Puis nous vîmes une longue trace, qui descendait sur le col, ce qui nous fit croire qu’il fut lié, d’une chaîne de fer en la prise au Jardin des Oliviers : car il se voit enflé en divers endroits comme ayant été tiré et secoué ; les plombées et coups de fouets sont si fréquents qu’à peine y peut-on trouver une place de la grosseur d’une pointe d’épingle exempte de coups ; elles se croisaient toutes et s’étendaient tout le long du corps, jusqu’à la plante des pieds; le gros amas de sang marque les ouvertures des pieds.
« Du côté de la main gauche laquelle est très bien marquée et croisée sur la droite dont elle couvre la blessure, les ouvertures des clous sont au milieu des mains, longues et belles, d’où serpente un ruisseau de sang depuis les côtes jusqu’aux épaules; les bras sont assez longs et beaux, ils sont en telle disposition qu’ils laissent la vue entière du corps, cruellement déchiré de coups de fouets; la plaie du divin côté paraît d’une largeur suffisante à recevoir trois doigts, entourée d’une trace de sang large de quatre doigts, s’étrécissant d’en bas et longue d’environ un demi-pied.
En plusieurs endroits, il y a de grosses cassures à cause des coups qu’on lui donna ; sur le milieu du corps, on remarque les vestiges de la chaîne de fer qui le liait si étroitement à la colonne qu’il paraît tout en sang ; la diversité des coups fait voir qu’ils se servirent de diverses sortes de fouets, comme de verges nouées d’épines, de cordes de fer qui le déchiraient cruellement.
Lorsque la restauration fut achevée, « Messeigneurs les Évêques couvrirent le Saint Suaire avec un drap d’or et l’emportèrent. Nous, nous commençâmes à chanter l’hymne : Jesus nostra Redemptio et nous demeurâmes pauvres orphelines de Celui qui nous avait si bénignement visitées par sa sainte image. »
Nombreuses sont les demeures au Royaume du Père… (Jean, 14,2).
R. AYMARD

(1) L’expression « avant le présent » (en anglais, Before Present : BP) est utilisée en archéologie pour désigner les âges exprimés en nombre d’années comptées vers le passé à partir de l’année 1950 du calendrier grégorien. Cette date a été fixée arbitrairement comme année de référence et correspond aux premiers essais de datation au carbone 14.

Extrait du n° 5 – nouvelle série – (octobre 2011) de Lecture et Tradition.
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