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Le cardinal Pie. Sa vie, son action religieuse et sociale

(Editions de Chiré, 2014)

Entretien avec Jérôme Seguin à l’occasion de la réédition du livre de Dom Besse (extrait)
Lecture et Tradition : En préambule, dites-nous quelques mots sur les raisons de la réédition du livre de dom Besse.

Jérôme Seguin : Elles sont très simples et très élémentaires. Cette année 2015 commémore le bicentenaire de la naissance de Mgr Pie (16 septembre 1815) qui a occupé le siège épiscopal du diocèse de Poitiers pendant 31 ans (de 1849 jusqu’à sa mort, en 1880). Cette réédition est pour nous l’expression de l’hommage que nous devons lui rendre pour saluer les immenses mérites de son épiscopat poitevin. Toutefois, le motif principal qui a guidé cette réédition est de mettre à la disposition des lecteurs une approche  du contenu de l’enseignement dispensé par le cardinal pendant un tiers de siècle. Comme le dit Jacques Jammet dans son propos liminaire : « Avec ce livre, nous avons une bonne introduction aux œuvres du cardinal ».

L. et T. : Mais qu’ont donc de si important ces œuvres que vous semblez considérer comme essentielles ?

J. S. : Votre question nécessite quelques points pour y répondre. Le premier est de rappeler quel est le contenu de la doctrine immuable de l’Eglise catholique, telle qu’elle a été instituée par Notre Seigneur Jésus-Christ à son origine, puis ensuite confirmée, enrichie, commentée et expliquée au cours des siècles, par la succession des souverains pontifes, assistés par les innombrables prélats, historiens, exégètes et théologiens qui l’ont transmise jusqu’à nos jours en lui conservant son contenu fondamental (le dépôt de la foi). Et Mgr Pie est compté au nombre de ces meilleurs mainteneurs.

Pour le deuxième point, nous estimons que ce qu’a enseigné le cardinal Pie doit être connu et rappelé aujourd’hui, en nos temps de confusion et d’incertitudes qui ébranlent sérieusement certains piliers « porteurs » de l’Eglise et suscitent le trouble chez les fidèles.

Enfin, le troisième point tient au fait qu’actuellement, dans le domaine de l’édition et de la librairie, il est difficile de se procurer les admirables textes du cardinal dans une édition de qualité. Un condensé en a été réalisé en 2005 (Editions de Paris) par Jacques Jammet sous le titre Le cardinal Pie de A à Z. Si l’on ne peut lire intégralement les Œuvres complètes, il faut, à tout le moins, parcourir cette riche moisson de textes choisis sur de nombreux sujets. Ces pages sont parmi les meilleures et les plus utiles par lesquelles le cardinal nous parle encore. Tel un père et un docteur de l’Eglise, par sa pensée si haute et sa foi si ferme, il a puissamment éclairé son siècle. Ce phare est tellement brillant qu’il peut illuminer aussi le nôtre. Et, si l’on fait partie des « hommes de bonne volonté », on gagnera beaucoup à lire tout ce livre, et beaucoup plus à le relire encore.

L. et T. : Dès la naissance de notre publication (1966), ses fondateurs, sous la houlette de Jean Auguy, se sont immédiatement présentés comme disciples du cardinal Pie, guide et prélat d’exception, d’autant plus que nous sommes situés dans le diocèse de Poitiers. Quel profit peut-on tirer de la lecture du petit livre de dom Besse ?

J. S. : Un profit inestimable, tant son enseignement est riche, varié et abordant tous les domaines de la vie religieuse, politique et sociale. Pour notre époque contemporaine tellement agitée dans laquelle nous vivons, il suffit de rappeler que le cardinal Pie « fut assez prophète pour démontrer que la rupture, consommée par la révolution française et ses successeurs, entre l’ordre chrétien et les doctrines abstraites, engendreraient immanquablement le laïcisme haineux qui, avec l’athéisme, est l’une des bases de nos sociétés modernes Sa singularité tient en ce qu’il n’affirmait rien qui ne se fondât sur la théologie, c’est-à-dire sur l’Ecriture et les Pères de l’Eglise, dont il tirait toutes les conséquences pour le gouvernement des Etats (…) Son plus fidèle disciple fut le saint pape, Pie X qui fit profiter l’Eglise universelle de son enseignement qui renferme aujourd’hui les terribles constats que nous faisons et, en même temps, les moyens efficaces de relèvement » (1).

L. et T. : En avançant dans la consultation du livre, nous constatons que le futur cardinal Pie  fut un orateur hors du commun, et même bien avant d’accéder au siège épiscopal poitevin. Ainsi prononça-t-il, à Orléans (le 8 mai 1844) un Eloge de Jeanne d’Arc qui « provoqua l’enthousiasme d’un nombreux et remarquable auditoire. Jamais orateur n’avait jusqu’à ce jour manifesté avec plus de force et de vérité la mission surnaturelle de la vierge de Domrémy », dit dom Besse. D’ailleurs, ce panégyrique est le premier qui paraît en tête du tome I du recueil des Discours et instructions pastoralesde Mgr l’évêque de Poitiers, dans l’édition de la Librairie Oudin (en 1858). Déjà, l’abbé Pie tenait à honorer les grandes figures qui ont illustré l’histoire religieuse de la France. Est-ce bien là également votre sentiment ?

J. S. : Oui, bien sûr. Je pense que nous reviendrons un peu plus loin sur quelques-unes de ces grandes figures qui ont marqué notre histoire religieuse. Pour confirmer ces propos, il suffit de feuilleter les 5000 pages du recueil des œuvres du cardinal pour constater que tout au long de ses interventions, il ne cessa de mettre en avant l’exemple et surtout l’édification des saints. Citons rapidement, parmi les plus célèbres : saint Louis, saint Benoît, saint Vincent de Paul, sainte Anne ou saint Thomas d’Aquin. Mais il tenait souvent à honorer des saints beaucoup moins connus : Abre (fille de saint Hilaire), Agapit, Anthème (un évêque de Poitiers), Emilien (évêque de Nantes) ou Soline (vierge poitevine). En consultant la table analytique de ses œuvres, ce sont des dizaines de saints qui y sont mentionnés.

Il expliquait qu’il fallait obtenir l’abrègement des épreuves par les prières adressées aux saints dont l’intercession est très puissante, car ils sont les continuateurs sur terre de l’œuvre de Jésus-Christ, dont ils sont cohéritiers. Mgr Pie les appelle « Fleur de la terre, fleur de l’humanité ».

L. et T. : Quand il monta sur le siège épiscopal de Poitiers, il se plaça immédiatement dans le sillage de son illustre prédécesseur, saint Hilaire (qui fut évêque à Poitiers 1500 ans avant lui, de 350 environ, à 368). Comment se fit cette sorte de filiation ?

J. S. : En arrivant dans son diocèse, en 1849, il en était étranger tant par la naissance que par l’éducation. Il voulut être sans tarder de Poitiers par l’esprit, par le cœur, par l’âme tout entière. Il s’y enracina au point de paraître plus poitevin que les Poitevins eux-mêmes. Aussi le vit-on s’attacher avec une vive curiosité et une piété intelligente au passé et au présent de sa nouvelle patrie. Les saints l’attirèrent et, en particulier ceux qui apparaissent comme des jalons de la tradition. Saint Hilaire, surtout, conquit sa grande et belle âme de pontife. « Vos immortels ouvrages, dit-il, seront, après les Livres saints, l’objet de notre étude la plus assidue ; ils nous enseigneront à la fois et les hardiesses de la résistance et les temporisations de la charité. Nous n’aurons qu’à nous inspirer de votre esprit et souvent qu’à répéter vos paroles (…) Partout vous serez notre oracle, notre flambeau ; et, placé sur votre chandelier, nous n’aspirerons à projeter d’autre éclat que les reflets de votre lumière ». Très rapidement, Mgr Pie a lu et connu tout saint Hilaire. Il voulut rendre à son illustre prédécesseur, dans le cœur de ses diocésains, une place perdue depuis longtemps. Il célébra sa fête annuelle avec grand éclat. Il restaura la basilique élevée sur son sépulcre (l’actuelle église Saint-Hilaire) et parvint sans tarder à obtenir que Pie IX le proclamât docteur de l’Eglise universelle. Fort de cette approbation pontificale, Mgr Pie put alors s’exclamer : « La nouvelle auréole qui brille sur son front réchauffera notre ardeur au milieu de la mêlée ; l’arsenal de ses écrits nous fournira des armes éprouvées ; et la victoire, qu’il a remportées jadis, est le gage de celle que nous remporterons sur les ennemis renaissants de la divinité de Jésus-Christ ».

L. et T. : Il vouait aussi une grande reconnaissance à saint Martin qui vécut au IVe siècle dans notre région (il était un contemporain de Saint Hilaire) où il érigea à Ligugé (en 361) le premier monastère français, avant de devenir évêque de Tours (de 371 à 397, date de sa mort).

J. S. : Situons rapidement la place de saint Martin dans notre histoire religieuse et nationale. C’était un soldat des armées romaines, originaire de Pannonie (région d’Europe centrale sur les rives du Danube). Il se convertit et fut baptisé à Amiens, au moment où se déroula l’épisode très connu du partage de sa tunique avec un malheureux et reste considéré comme l’ « apôtre des Gaules ». Dom Besse le définit comme « le plus français de tous les saints », celui qui par ses miracles et ses prédications enracina le plus dans l’âme de notre race la foi en Jésus-Christ. Quant à Mgr Pie, il s’enflamma : « Hilaire ! Martin ! Ces deux noms sont à l’Eglise de Poitiers ce que sont à l’Eglise universelle les noms de Pierre et de Paul. Voilà les fondements, les colonnes, les appuis, les tours, les remparts de notre cité ». Mgr l’évêque admire saint Martin de toute la puissance de son âme de prélat et de Français. En lui, il salue le « fondateur et le père » de la patrie chrétienne, le « protecteur et le patron » de la France. L’oubli dans lequel son nom est laissé le désole : c’est à ses yeux une faute nationale : « Comment espérer que la nation se relève, qu’elle retrouve ses anciennes gloires, si Martin est négligé à jamais ? » Restaurer le culte de saint Martin, c’est donc travailler efficacement à rendre la France chrétienne. Il donna lui-même le signal en rétablissant (en 1853) le monastère de Ligugé et ce fut lui qui lança l’idée de la grande basilique tourangelle.

L. et T. : N’y a-t-il pas deux autres figures poitevines que Mgr Pie a désiré remettre (ou mettre) à l’honneur ?

J. S. : Oui deux noms bien connus dans notre diocèse, mais probablement ignorés ou bien oubliés hors de ses frontières, qui illustrèrent Poitiers au VIe siècle. La grande sainte Radegonde (patronne du diocèse avec Saint Hilaire), reine des Francs (elle était la belle-fille de Clovis) : elle quitta la cour royale de son mari Clotaire en raison des violences avec lesquelles celui-ci éliminait ses opposants et de sa vie dissolue. Elle trouva refuge à Poitiers où elle fonda le monastère de la Sainte Croix. Elle occupa dans le cœur de Mgr Pie la première place après la Vierge Marie. Il l’a nomma sa « seconde mère » et lui témoigna sa dévotion filiale en donnant à ses fêtes et à son culte tout l’éclat possible en s’efforçant de refaire une situation digne de son passé à la « vénérable abbaye de Sainte-Croix où se sont succédé tant d’illustres servantes de Jésus-Christ ». Dans un discours prononcé en 1851, il proclamait : « Faites revivre parmi ce peuple les vertus dont vous avez été le brillant modèle : la fuite des plaisirs coupables, la détachement des biens de la terre, l’esprit de foi et de charité, la tendre dévotion à la Sainte Eucharistie et la confiance envers l’incomparable Vierge Marie, le profond respect pour les choses saintes et pour les prêtres du Seigneur, la douce commisération à l’égard des malheureux ». Auprès de sainte Radegonde (morte en 587), l’évêque de Poitiers était Venance Fortunat, élevé à cette fonction en 565, le « barde chrétien, l’évêque-poète », le chantre des saints et des saintes : il est l’auteur d’une Vie de saint Martin en vers et surtout du cantique très connu dans les cérémonies catholiques le Vexilla regis prodeunt  (hymne des vêpres du dimanche des Rameaux).

L. et T. : Il se trouve également un passage concernant les relations entre l’abbé Pie et dom Guéranger (restaurateur de l’abbaye bénédictine de Solesmes). Quels furent les motifs et les raisons des liens entre ces deux grands hommes d’Eglise au XIXe siècle ?

J. S. : Leur première rencontre eut lieu le 16 mars 1841, dans la cathédrale Notre-Dame de Chartres où l’abbé Pie était vicaire. Mgr Baunard, dans son Histoire du cardinal Pie, l’évoque en ces termes : « M. l’abbé Pie vit entrer à la sacristie un prêtre inconnu portant l’habit religieux, qui exprima le désir de dire la sainte messe. Le jeune vicaire s’avança courtoisement vers lui, se mit obligeamment à sa disposition et lui demanda à quel ordre il appartenait ». Au terme des échanges de propos, l’abbé Pie apprit qu’il se trouvait en face de dom Guéranger, le restaurateur de la congrégation des bénédictins en France au prieuré de Solesmes érigé en abbaye, en 1835, dont il connaissait la réputation pour avoir lu ses ouvrages. Dès lors s’établirent entre eux des relations étroites et suivies. Ils aimaient à se retrouver à Chartres, à Solesmes, à Poitiers, à Ligugé. Ces deux champions de la vérité chrétienne se communiquaient leur force et leur lumière. Leur mutuelle estime grandit avec les années et les services. Personne n’a mieux compris et exprimé le rôle joué par l’abbé de Solesmes que l’évêque de Poitiers. Il est pratiquement certain que ce dernier n’a pas trouvé un admirateur plus affectueux et plus fidèle que dom Guéranger. Et lorsque ce dernier mourut (en janvier 1875), Mgr Pie estima, selon ses propres termes, que ce « fut un grand désastre : ce père abbé était ma vraie force. J’étais tranquille lorsque j’avais son approbation ; une heure d’entretien avec lui me valait mieux souvent que des volumes et des volumes, pour former ma conviction et arriver à la formule exacte de la vérité, soit sur la doctrine, soit sur les événements, qu’il éclairait de la lumière de son génie et de sa foi ». (lire la suite dans notre numéro)

 1 – Jugement de M. l’abbé Christian-Philippe Chanut, dans l’avant-propos de l’ouvrage de Jacques Jammet, Le cardinal Pie de A à Z.


Extrait du n° 46 – nouvelle série (février 2015) de Lecture et Tradition
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