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La droite impossible

Entretien (extrait de l’) avec Yves-Marie Adeline au sujet de son livre La droite impossible (Editions de Chiré, 2012)
 
Lecture et Tradition : En 1996, vous aviez publié, sous le titre La droite piégée, un ouvrage qui fit grand bruit à l’époque (c’était il y a 16 ans, déjà ! Comme le temps passe…) et beaucoup parler de lui, car il donnait une explication argumentée et incontestable de la domination unilatérale de la gauche sur le « paysage politique français ». Pouvez-vous, succinctement pour nos plus jeunes lecteurs, nous rappeler la genèse de ce livre en précisant bien les raisons pour lesquelles vous avez insisté sur le qualificatif de « piégée » ?

Yves-Marie Adeline : A l’époque, je sortais d’avoir dirigé le cabinet d’un homme politique appartenant à la « droite de gouvernement », et j’en avais conservé l’impression d’une impuissance de la droite quand elle est au pouvoir ; mais je la voyais seulement « piégée », c’est-à-dire que je pensais qu’elle pouvait sortir du piège, à condition de réformer profondément les institutions. C’est pour cela que la troisième partie parlait d’une « clef des champs » qui permettrait d’ouvrir le cadenas de la chaîne… Je me souviens d’un lecteur de gauche, critique et intelligent, donc fair-play – ce qui est rare à gauche – qui avait été élogieux sur ma démonstration, sauf cette partie-là, la « clef des champs », parce qu’il y voyait une fuite dans des considérations philosophiques pour conclure une démonstration pratique. Son reproche avait du sens.

L. et T. : Trois lustres plus tard, vous avez « sur le métier remis votre ouvrage », non pas sous une forme « revue, corrigée, augmentée, remaniée, mise à jour, actualisée » (comme disent trop souvent les auteurs et leurs éditeurs) – et… que sais-je encore –, mais en proposant un contenu totalement renouvelé, auquel vous avez donné le titre de La droite impossible qui laisse penser qu’il s’agit d’une suite ou d’un complément de son devancier. Qu’en est-il exactement ?

Y.-M. A. : D’abord, j’ai voulu proposer une analyse plus fine, plus claire encore, parce qu’en seize années j’ai pris de la bouteille et je suis meilleur pédagogue, et plus savant de ces questions. En outre, aujourd’hui où je me suis désengagé de tout combat politique, mon analyse est plus objective. Et enfin, je n’ai plus de « clef des champs » à proposer, mais seulement un constat beaucoup plus dur : la droite n’est pas piégée, car pour être piégée, encore faudrait-il pouvoir s’introduire dans le système ; non, c’est encore pire que cela, la droite est impossible, elle est incompatible avec le système.

L. et T. : En relisant votre livre, afin de mieux m’en imprégner, j’ai constaté qu’il est, hélas, amputé d’une table des matières qui fait défaut car, au fil de votre démonstration, vous l’avez découpée en une quarantaine de courts paragraphes qui en rendent la lecture agréable et permettent surtout au lecteur de « respirer » et de bien assimiler votre analyse. Vous facilitez ainsi considérablement la tâche du journaliste en l’aidant pour vous poser des questions bien adaptées. Si vous le voulez bien, je vais donc me permettre de reprendre quelques-unes de vos formules sous forme d’interrogations, sans pour autant vous inciter à divulguer la totalité de vos propos. Dans les premières pages vous évoquez les « pinces du piège ». Quelles sont ces pinces ?

Y.-M. A. : Quand on est de droite, on pense qu’il y a des valeurs intangibles, des obligations, des liens supérieurs à nous-mêmes, donc on pense qu’on ne peut pas discuter de tout. Par exemple, Antigone, qui est une figure typiquement de droite, estime que l’édit de Créon (qui interdit que l’on enterre le cadavre de son frère condamné Polynice) est illégitime, même s’il est légal d’un point de vue formel. Mais dès lors qu’un système comme le nôtre invite à opérer constamment des choix, y compris sur ce que la droite regarde comme intangible, ce n’est pas un système neutre, comme il le prétend, c’est un système qui par nature a déjà choisi le relativisme, qui est de gauche. Voilà pour la première pince…
C’est pour cela que, même quand une droite authentique arrive au pouvoir, tôt ou tard la gauche reprendra les rênes, parce que le système l’appelle irrésistiblement. Voilà pour la deuxième pince…

L. et T. : Aussitôt après, vous revenez sur le « phénomène de cliquet » qui m’avait marqué dans La droite piégée. C’est un processus qui, de plus, pourrait remettre en cause l’utilité de la participation aux consultations électorales, puisque, si je ne me trompe, les jeux semblent être faits d’avance, sans aller jusqu’à dire que les dés sont pipés… mais nous n’en sommes pas loin ! Soyez aimable de nous dire ce que sont ces fameux cliquets.

Y.-M. A. : On observe que toute conquête sociétale de la gauche est irréversible : on ne reviendra jamais dessus. Qui aujourd’hui reviendrait sur la peine de mort ? Sur l’avortement, qui, contrairement à ce que tient parfois un discours embrumé, n’a rien à voir ? Et dans une trentaine d’années, il sera impossible à la droite de remettre en question l’euthanasie, le mariage homosexuel, l’adoption homosexuelle etc., ne serait-ce que parce que dans trente ans, le débat se sera déplacé toujours plus loin à gauche : le droit à la pédophilie, à l’inceste, à la zoophilie, le droit d’épouser un animal familier… Ce qui semble impensable aujourd’hui sera pensable demain. En 1919, Clemenceau se déclarait résolument contre l’avortement ; aujourd’hui cette posture serait inimaginable dans le camp idéologique qui se réclame de lui.
Le seul domaine dans lequel l’effet de cliquet est plus variable , c’est le domaine socio-économique, parce que, pour garantir des droits sociaux à la fois très exigeants et imprescriptibles, il faut que la richesse suive. Mais quand il n’y a plus d’argent, on ne peut plus verser de 13e, 14e, 15e mois, etc. et, parfois, ni même de retraite. Ce que vit la Grèce aujourd’hui illustre cette exception économique au phénomène du cliquet.

L. et T. : Une autre formule ou expression mérite que l’on s’y attarde un peu : vous dites que la droite, quand elle est au pouvoir, paie son loyer à la gauche (« qui est propriétaire »). Comment justifiez-vous une telle expression ?

Y.-M. A. : N’oublions pas que notre système politique a été inventé par la gauche. Puisque l’esprit du système est à gauche, la droite est bien obligée de faire en sorte de ne pas paraître trop à droite. Et même de compter dans ses rangs des personnalités qui sont économiquement de droite mais foncièrement à gauche. L’UMP Roselyne Bachelot, par exemple, est bien plus à gauche que la socialiste Ségolène Royal ; et elle aura passé toutes ses années ministérielles à empêcher que ne se développe à l’UMP une tendance authentiquement de droite. N’oublions pas non plus que l’avortement a été voté sous la droite ; que la théorie du gender (on ne naît ni homme ni femme par nature) s’est imposée dans les écoles sous la droite. Observons à ce propos que jamais la droite n’oserait remettre en cause la prépondérance idéologique de la gauche sur tous les secteurs métapolitiques : médias, enseignement, culture…

L. et T. : Un peu plus loin encore, un paragraphe s’intitule « la gauche revient toujours ». Un tel retour est donc inéluctable ?

Y.-M. A. : Toute l’histoire du rapport droite-gauche l’a démontré : quel que soit le moyen utilisé, par l’élection, par le coup de force, par la démocratie ou par la dictature, la droite arrivée au pouvoir a dû ensuite laisser la place au propriétaire légitime du système. Plus précisément, elle est appelée au pouvoir quand la gauche a semé le chaos et menace de tout détruire, et de se détruire elle-même, ou au moins ses réalisations ; puis, quand la droite a rétabli l’ordre, la gauche revient. En somme, paradoxalement, la droite est le meilleur auxiliaire pour assurer la pérennité du pouvoir de la gauche.
 
Propos recueillis par Jérôme SEGUIN
 

Extrait du n° 18 – nouvelle série (octobre 2012) de Lecture et Tradition

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