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La Confrontation Révolution-Contrerévolution

Extrait de l’entretien avec Christian Lagrave à propos de la réédition du livre du colonel Chateau-Jobert (Éditions de Chiré, décembre 2015).

Jérôme Seguin : Nous avons, vous et moi, bien connu le colonel Chateau-Jobert. Dans quelles circonstances l’avez-vous rencontré ?
Christian Lagrave : Ma première rencontre avec le colonel Chateau-Jobert eut lieu en décembre 1965. Il vivait alors dans la clandestinité en Espagne, condamné à mort par contumace en France depuis le mois de juin précédent, mais il restait en contact, par des émissaires et des voyages fréquents à la frontière, avec les réseaux contrerévolutionnaires de France qui avaient été constitués en métropole dès 1958 par le MP 13 de Robert Martel 1 et avaient survécu, tant bien que mal, à la répression gaulliste.
L’un de ces réseaux avait été créé à Poitiers en 1959 par Jacques Meunier, alors étudiant en droit, sous le patronage de François de Saizieu 2. Malgré l’emprisonnement, en 1961-1962, de son responsable et de plusieurs de ses membres, ce réseau avait réussi à subsister et à maintenir ses liaisons avec Martel – jusqu’à l’arrestation de ce dernier en janvier 1963 –, avec François de Saizieu qui, à cette période, vivait lui aussi dans la clandestinité, ainsi qu’avec Chateau-Jobert.
Profitant des vacances de Noël 1965, Jacques Meunier décida de rencontrer une nouvelle fois le colonel qui vivait alors caché chez des amis français près de Barcelone 3. Notre ami Jacques Boisard qui possédait une voiture (étant encore étudiants, nous n’en avions pas) avait accepté de nous emmener. A Barcelone nous fûmes accueillis d’abord par le fidèle garde du corps du colonel, Christian Coré, qui était en cavale lui aussi et, parlant admirablement le castillan, passait pour un Espagnol dans les milieux carlistes de Catalogne qui le connaissaient sous le pseudonyme de Luis.
Après un ou deux jours passés à rencontrer des militants carlistes, Luis nous fit savoir que Chateau-Jobert nous contacterait un matin au pied des marches de la Sagrada Familia, la fameuse basilique de Gaudi qui, à cette époque, n’était pas encore achevée. A l’heure dite, nous vîmes arriver un petit vieux 4 pauvrement vêtu et glabre (il avait naturellement rasé son célèbre collier de barbe) qui serait passé totalement inaperçu s’il n’y avait eu un net contraste entre sa silhouette insignifiante (il était petit et maigre) et son allure qui était celle d’un jeune homme – en fait je crois me souvenir qu’il descendait les escaliers quatre à quatre !
Vu de près ce n’était plus du tout un « petit vieux ». Il avait le regard vif et perçant, la parole précise et convaincante – en fait ce fut cette passion de convaincre son interlocuteur qui me frappa le plus.
J. S. : Vous venez de parler de « réseaux contrerévolutionnaires ». En quoi consistait leur activité ?
C. L. : A ces réseaux Chateau-Jobert avait donné pour consigne « Ni exactions, ni plasticages, ni hold-up » 5. Il suivait en cela la ligne qui avait été celle de Robert Martel, lequel avait toujours condamné les dérives terroristes de ce qu’il appelait « l’OAS révolutionnaire » 6. Préparer le renversement d’un régime félon n’implique pas pour autant que tous les moyens soient permis : « la forme d’action préconisée par la Révolution était absolument incompatible avec celle préconisée par la Contrerévolution » 7. Depuis la perte de l’Algérie, l’action devait « se borner à une information, une reconstitution de réseaux, une formation doctrinale de sympathisants, une structuration » 8. Ajoutez à cela une propagande orale et écrite ; orale par les contacts personnels que nous avions en milieu étudiant, écrite par la diffusion sous le manteau des ouvrages de Chateau-Jobert et des petits bulletins d’informations et de doctrine intitulés « La Contrerévolution » qui étaient le plus souvent rédigés par François de Saizieu et imprimés clandestinement dans la région. Une sorte de « samizdat », même si le terme n’était pas encore connu en Occident.
J. S. : Et Chateau-Jobert lui-même que faisait-il ?
C. L. : Qu’on ne s’imagine pas un comploteur préparant un renversement du régime en manipulant des organigrammes et des plans sur la comète. Ce temps était passé depuis 1962 et il avait eu le mérite de l’avoir compris un des premiers. Le « Système » sait trop bien se défendre pour qu’on puisse espérer l’abattre de vive force, et, de toute façon, il ne servirait à rien de prendre le pouvoir à midi pour le perdre à cinq heures faute d’avoir pour l’exercer un nombre suffisant de militants bien formés et pénétrés de la même doctrine et des mêmes principes d’action.
« Ne désespérons pas, le combat n’est pas fini, nous le reprendrons ensemble en Métropole. Mais cette fois, je ne serai pas à la remorque des autres et je lancerai un manifeste et une doctrine » 9.
Voilà ce que Chateau-Jobert avait dit à Robert Martel avant de quitter définitivement l’Algérie au lendemain des funestes « accords Susini-Mostefai » qui avaient consacré la perte de l’Algérie française 10.
C’est de cette doctrine d’action contrerévolutionnaire qu’il nous entretint lors des trois ou quatre rencontres que nous eûmes en décembre 1965. Déjà au cours de l’été 1962 il avait pu achever son Manifeste politique et social qui avait pour objet « de rappeler la base doctrinale théori­que qui doit être l’assise de cette action. » 11 Les réseaux contrerévolutionnaires avaient réussi ensuite à le faire imprimer et à le diffuser sous le manteau 12.
La Doctrine d’action contrerévolutionnaire, qu’il rédigea ensuite, était destinée à servir aux militants non pas seulement dans une situation donnée mais dans tous les cas de figure. L’année précédente il avait pris la décision de publier son travail en deux parties :
« L’ampleur de mon étude m’obligeait à la séparer en deux parties. C’est dans un second livre seulement, La Confrontation Révolution Contrerévolution, que je traiterai d’une action de résistance politico-sociale allant jusqu’à l’hypothèse d’une défense les armes à la main » 13.
Il était en train de rédiger cette seconde partie lorsque nous le rencontrâmes et quelques mois plus tard il nous fit passer un exemplaire polycopié d’une première version qu’il compléta par la suite. En 1968 les évènements de mai éclatèrent en France et provoquèrent par contrecoup les mesures d’amnistie qui allaient permettre à Chateau-Jobert de rentrer légalement en France. Et plus tard de publier à Chiré la Doctrine d’Actionet La Confrontation.
J. S. : A l’époque, le colonel Chateau-Jobert, bénéficiait d’une grande notoriété dans les milieux de la contrerévolution. De nos jours, les générations plus jeunes n’ont, pour certaines, qu’à peine entendu prononcer son nom. Pouvez-vous nous rappeler qui il fut ?
C. L. : Pierre Chateau-Jobert était né en 1912 à Morlaix dans une famille bretonne et catholique qui comptait quatre enfants. En 1915 son père était tué au front. Sa mère éleva courageusement la famille en tenant un petit commerce de librairie. Après des études à Morlaix puis au Collège Stanislas à Paris et à l’Institut Polytechnique de l’Ouest, il voulut préparer Navale mais deux pleurésies successives l’en empêchèrent.
Incorporé comme 2e classe en 1934, il réussit à devenir sous-lieutenant de réserve puis à intégrer l’Ecole d’Application d’Artillerie de Fontainebleau d’où il sortit sous-lieutenant d’active.
Blessé à la tête le 15 juin 1940 par un mitraillage aérien, il resta trois jours dans le coma. A son réveil il apprit que les Allemands allaient arriver le lendemain et que les ordres étaient de déposer les armes. Il refusa et se dirigea vers le sud avec l’idée de continuer la guerre en Afrique du Nord. Il s’embarqua à Saint-Jean-de-Luz mais le bateau l’amena en Angleterre où il s’engagea dans les F.F.L., sans être le moins du monde gaulliste 14, mais pour revenir au combat le plus vite possible.
De fait, il combattit pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Sur le bateau qui l’amenait en Afrique, sous les ordres du futur général Monclar, il dut choisir un pseudonyme de guerre 15 et ses camarades lui attribuèrent celui de Conan, d’après le nom du héros du roman de Roger Vercel « Capitaine Conan ». Affecté comme lieutenant à la 13eDemi-Brigade de Légion Étrangère, il participa à la campagne d’Erythrée, puis aux combats fratricides de Syrie. Blessé en Libye et hospitalisé, il se porta volontaire pour servir dans les nouvelles unités parachutistes qui allaient être crées en Angleterre. Sa formation achevée, il se vit confier la formation et le commandement du « 3rd French S.A.S. », soit six cents hommes, alors qu’il n’était qu’un jeune capitaine et que certains de ses subordonnés, égaux en grade, étaient plus âgés – ce qui en dit long sur ses qualités de chef.
Parachuté en France occupée en août 1944, il avait pour mission de harceler l’ennemi en coupant ses lignes de communication, pour l’empêcher de regrouper ses forces, tout en opérant avec un minimum de pertes. Il réussit d’une façon remarquable, si bien que son régiment reçut une citation à l’Ordre de l’Armée.
En décembre 1944, promu chef de bataillon il quitta le commandement de son régiment devenu le 3e Régiment de Chasseurs Parachutistes. En 1945 et 1946, il créa les Centres Écoles de Parachutisme Militaire de Lannion et de Pau-Idron.
En 1947, il se portait volontaire pour l’Indochine où il allait se battre jusqu’en 1952 16, d’abord comme commandant en second puis commandant en titre de la 2e Demi-Brigade Coloniale de Commandos Parachutistes, combattant lui-même sur le terrain comme s’il avait encore été un simple capitaine 17. Seule interruption : un séjour en métropole à Vannes-Meucon, comme commandant en second de la 1reDBCCP, séjour à l’issue duquel il fut promu lieutenant-colonel.
Il revint à Vannes en 1952 comme chef de corps et l’année suivante fut désigné comme auditeur à l’Institut des Hautes Études d’Administration Musulmane, puis affecté à l’État-major d’Alger. En 1955, il reçut le commandement du 2e Régiment de Parachutistes Coloniaux avec lequel il allait combattre les rebelles du FLN dans les Aurès et dans le Constantinois jusqu’à la fin octobre 1956, date à laquelle le régiment fut envoyé à Chypre, pour préparer l’expédition franco-britannique de Suez. Le 5 novembre, il fut parachuté sur Port-Saïd et Port-Fouad et battit les forces égyptiennes « par une manœuvre toute d’audace et de décision qui reste un modèle du genre » 18.
En 1957, il fut envoyé à Bayonne pour succéder au général Gracieux à la tête de la Brigade de Parachutistes Coloniaux 19. Après le 13 mai 1958, il soutint, ainsi que tous ses camarades parachutistes du Sud-Ouest, le mouvement en faveur de l’Algérie Française et il se concerta avec eux pour être prêt à toute éventualité. Il a raconté comment, à cette occasion, il se trouva confronté à la notion de Révolution comprise non pas comme un simple événement ponctuel mais comme une révolte contre « cet ordre naturel inscrit dans la création et d’où découle un ordre social éminemment soucieux des véritables droits et devoirs des hommes » 20. (lire la suite dans notre numéro)

1 – Voir Claude Mouton, La Contrerévolution en Algérie, D.P.F., Chiré-en-Montreuil, 1972, pp. 355 et suivantes. Le livre est le fruit d’une collaboration étroite entre Robert Martel et Claude Mouton, le second ayant mis en forme et complété les souvenirs du premier.
2 – Dans La Contrerévolution en Algérie, Robert Martel a décrit le rôle et l’action de F. de Saizieu en dissimulant son nom véritable sous le pseudonyme de Georges de Santal ; voir notamment p. 355 du livre.
3 – Voir colonel Chateau-Jobert, Feux et lumière sur ma trace, Presses de la Cité, Paris, 1978, p. 332.
4 – Né en 1912, il n’avait alors que 53 ans, mais il avait volontairement pris l’aspect d’un vieil homme. Il a évoqué dans ses souvenirs « mon accoutrement si médiocre et mon visage assez enlaidi pour être difficilement reconnaissable » (Feux et lumière sur ma trace, p. 310).
5 – Feux et lumière sur ma trace, p. 328.
6 – Voir La Contrerévolution en Algérie, chap. VIII. Voir aussi Claude Mouton, « Un témoignage vécu » in Lecture et Tradition n° 348, février 2006 (numéro consacré au décès de Chateau-Jobert).
7 – La Contrerévolution en Algérie, p. 534.
8 – Feux et lumière sur ma trace, p. 328.
9 – La Contrerévolution en Algérie, p. 602.
10 – Voir Ibid., p. 600-603 et Feux et lumière sur ma trace, p. 295-297.
11 – Ibid., p. 311.
12 – Jacques Meunier en avait pour sa part diffusé un bon nombre.
13 – Feux et lumière sur ma trace, p. 332.
14 – Feux et lumière sur ma trace, p. 15.
15 – Pour éviter des représailles à sa famille restée en France.
16 – Voir Feux et lumière sur ma trace, p. 87 à 150.
17 – Pour la seule période 1947-1948, il participa à une cinquantaine de combats et fut parachuté douze fois en opération (voir Feux et lumière sur ma trace, p. 124).
18 – « Éloge funèbre du colonel Chateau-Jobert prononcé par le colonel Jean Sassi », Lecture et Tradition n° 348, février 2006, p. 5.
19 – Elle deviendra, en décembre 1958, la Brigade Parachutiste d’Outre-Mer.
20 – Feux et lumière sur ma trace, p. 220.
Extrait du n° 56 – nouvelle série (décembre 2015) de Lecture et Tradition
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