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Entretien avec Philippe de Villiers (extrait)

L. et T. : Il y a un an, vous fêtiez les 35 ans du Puy du Fou avec la publication à cette occasion de votre livre Les Secrets du Puy du Fou (1). Cette réussite a été couronnée par la reconnaissance du Grand Parc comme plus beau parc thématique au monde. Quand vous avez créé le Puy du Fou, on vous traitait de « ventre à choux », de « bouseux » et de « crotteux ». C’est un parcours phénoménal et vous devez éprouver une certaine fierté d’avoir sorti la Vendée de la boue et de l’avoir fait reconnaître par la France et le monde.
 
Ph. de V. : J’avais un but secret en 1977, c’était de rendre aux Vendéens leur fierté. C’est le filigrane de toute l’aventure du Puy du Fou. Je pense y être parvenu, et par une voie qui porte une leçon. La Vendée retrouvant ses valeurs et sa fidélité a connu un développement et un rayonnement économiques inattendus. Ce qui veut bien dire que c’est la valeur qui crée la valeur ajoutée et non pas l’inverse. Rendez à un peuple sa fierté, et vous verrez qu’il créera.
 
L. et T. : On pourrait se dire qu’avec un tel parcours, vous êtes un Vendéen « de souche »… Qu’en est-il exactement ? Pourriez-vous nous parler de vos origines familiales ?
 
Ph. de V. : Le berceau de ma famille, c’est la Normandie, plus exactement Villiers-Fossard, dans le Cotentin. J’appartiens à une famille d’officiers de pères en fils, et cette famille est toujours allée là où il fallait défendre le pré carré français. Depuis de nombreuses décennies, la famille de mon père se trouvait sur la frontière, en Lorraine. Mon père était lorrain. Il est né à Nancy et il a rejoint son colonel, De Lattre, au 15-1 (2) à Metz. Il s’est évadé pour le retrouver après la guerre, suite à sa déportation au camp de représailles de Lübeck. Au domicile personnel du maréchal de Lattre de Tassigny, il a rencontré ma mère qui était elle-même catalane, et dont l’ancêtre, Bénigne de Montsorbier, était une amazone de Charette. Je suis un « petit beurre » vendéen !
 
L. et T. : Après ce que vous nous avez dit, nous pouvons considérer que vous n’êtes pas un sympathisant de la révolution de 1789. Vous l’avez d’ailleurs exprimé publiquement dans votre premier livre, Lettre ouverte aux coupeurs de têtes et aux menteurs du bicentenaire (3), paru il y a 25 ans, l’année pendant laquelle fut commémoré le deuxième centenaire de cette funeste période. Pouvez-vous développer ce sujet ?
 
Ph. de V. : Depuis Soljenitsyne et la chute du mur de Berlin, on ne peut plus regarder la révolution comme avant. La révolution de 1917 se voulait la fille de la Révolution française et son prolongement. Le mensonge de l’une rétroagit sur l’imposture de l’autre. Le principe même de la révolution, c’est la « table rase », et le ressort de la Révolution française, c’est l’idée que le progrès s’établit sur une sorte d’homme générique dépouillé de ses attachements vitaux. Pendant de nombreuses années, beaucoup de gens ont feint de croire ou fait croire qu’il y avait dans la révolution une première phase acceptable, la phase libérale, et une deuxième qui ne l’était pas, la phase terroriste. Or, les travaux les plus récents montrent que la terreur est dans l’ADN de la révolution. Pourquoi ? Parce que la révolution entend fabriquer un homme neuf, une humanité nouvelle. Et pour la fabriquer, il faut se débarrasser de toute l’humanité qui la précède et des traditions qui l’ont nourrie. C’est pour cela que la Révolution française s’est établie comme une nouvelle religion, celle de l’Être suprême de Robespierre. Celui-ci veut refaire une humanité et, à cette fin, l’anéantissement de tout ce qui précède l’homme générique lui paraît nécessaire. D’où l’extermination de la Vendée.
 
J’ai toujours pensé que la Vendée était « l’œil de Caïn » de l’histoire de France. En effet, il faut se référer à la fameuse apostrophe de Robespierre, occultée par les historiens de l’Université : « Citoyens, nous sommes devant un terrible dilemme. Ou bien la Vendée est déclarée coupable, alors tout ce que nous faisons est légitime ; ou bien la Vendée est déclarée innocente, alors pèsera sur chacun de nous et sur la révolution toute entière un terrible soupçon ». Il faut que la Vendée ait tort pour que la révolution ait raison. Or, la Vendée s’est soulevée par une sommation vitale du petit peuple, une indignation sortie des entrailles de la terre, parce que les nouvelles autorités ont touché à cette petite demeure invisible qui repose en paix sous la poutre maîtresse de la maison. Et cette petite demeure invisible qui est un trésor sacré, ce sont les croyances ancestrales.
 
Il y a un double problème dans le processus révolutionnaire qui n’a pas trouvé sa solution. C’est le lien entre le pouvoir et le sacré, et celui entre le pouvoir et la famille, c’est-à-dire le temps. Le pouvoir a besoin de temps et le pouvoir a besoin de sacré. Les anciens associaient la potestas et l’auctoritas. Aujourd’hui, la potestas est partie à Bruxelles et l’auctoritas dans les media. « Le roi est nu », si l’on peut parler ainsi de ce pauvre Hollande.
 
(1) Editions Albin Michel, 2012. Précédemment, en 1998, était paru, chez le même éditeur, L’Aventure du Puy du Fou.
(2) 151e régiment d’infanterie, créé le 12 janvier 1813 et dissous le 23 mai 1997.
(3) Ed. Albin Michel, 1989.
 
Extrait du n° 26 – nouvelle série (juin 2013) de Lecture et Tradition
 

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