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Cotignac et la mission divine de la France

Extrait de l’entretien avec Élise Humbert au sujet de son livre (Éditions de Chiré, février 2015)


Lecture et Tradition : Les Editions de Chiré viennent de publier votre récent livre consacré à Cotignac et la mission divine de la France. Ce nom de Cotignac, dans la piété populaire, est habituellement lié à un pèlerinage auprès de saint Joseph auquel se rendent les familles afin de demander son intervention pour la conception et la naissance d’un enfant. A vous lire, c’est bien plus que cela, nous allons le voir. Mais, tout d’abord nous aimerions lire votre réponse à la question que vous posez, dès la première page de votre ouvrage, Pourquoi Cotignac ?
Élise Humbert : Tout d’abord, je tiens à remercier les Editions de Chiré, pour avoir accepté de publier ce livre. Effectivement beaucoup de familles se rendent en pèlerinage à Cotignac, en particulier pour implorer saint Joseph afin d’obtenir des enfants. Elles font bien et les petits « Dieudonnés » sont innombrables. Mais il ne faut pas oublier que ce pèlerinage passe par l’intercession de Notre-Dame de Grâces de Cotignac. En effet  il était déjà effectué à cette intention bien avant l’apparition de saint Joseph, le 7 juin 1660. Je développe cet épisode dans une de vos questions suivantes.
Ainsi que vous le soulignez, les événements qui eurent lieu à Cotignac dépassent largement, nous le verrons dans le développement de cet entretien, le cadre de pèlerinages à saint Joseph pour obtenir la conception et la naissance d’un enfant. Alors, Pourquoi Cotignac ? me demandez-vous.
Comme tous les lieux d’apparitions, Cotignac est le fruit d’une élection céleste.
Pour nous instruire de la mission divine de la France, quoi de plus approprié que ce promontoire dominant un chemin jalonné de lieux hautement symboliques et sur lesquels ont essaimé les premiers évêques qui commencèrent l’histoire religieuse de la Provence ? Marseille (saint Lazare), Aix-en-Provence (saint Maximin), Saint-Paul-les-Trois Châteaux (Maximin Sidoine, l’aveugle guéri par le Christ et qui devient saint Restitut)… Quoi de plus apodictique encore que ce petit village à l’écart des grand routes, mais qui reçut la visite de la Reine du Ciel, de son époux, le « Prince de tous les biens », de l’Archange chef de la Milice céleste, de saints liés à l’histoire religieuse de notre pays, et d’une reine et d’un roi de France, entourés de la pompe de la cour ?
Pour nous avertir des maux à venir, pour nous rappeler le prix de la fidélité, quoi de plus digne pour la Reine du Ciel que d’édicter ses décrets sur un mont qui abrite la tombe de martyrs ?
Pour nous donner le gage des grâces divines, quoi de plus idoine que le rejet, à la voix de saint Joseph, d’une pierre écrasante et le jaillissement d’une source nouvelle, dans la terre aride et brûlante du Bessillon ?
Pour nous révéler la grandeur de ce saint glorieux et sa place dans l’histoire de notre pays, quoi de plus prégnant que son intervention à Cotignac, le jour où le roi Louis XIV fait entrer en France  sa jeune épouse, Marie-Thérèse d’Autriche ?
Enfin, pour nous convaincre de quitter la médiocrité et les attraits du monde afin de  nous élever à l’amour de Dieu, quoi de plus engageant que le chemin pierreux et montant qui mène aux sanctuaires ?
L. et T. ! Pour bien mesurer l’importance de ce village – osons dire ce symbole – veuillez bien nous dire dans quelles circonstances ce lieu a été choisi pour être ainsi « béni de la Providence ».
E. H. : L’apparition de Notre-Dame de Grâces au bûcheron Jean de la Baume, dans les bois de Cotignac, au matin du 10 août 1519, est la réponse aux hérésies que Martin Luther (1483-1540) répandait dans le sud de la France. L’argument de la Vierge est  l’Enfant Jésus qu’elle présente, siégeant dans ses bras : la voici donc Mère de Dieu. Elle est encore Mère de l’Eglise, puisque son message s’adresse au clergé, et Reine de France puisque celui-ci se continue à l’intention des consuls du village. Enfin la promesse des grâces qu’elle désire accorder ne permet pas de douter de son titre de  Médiatrice et Dispensatrice des Dons Célestes…
« Je suis la Vierge Marie. Allez dire au clergé et aux consuls de Cotignac de me bâtir ici-même une église, sous le vocable de Notre-Dame de Grâces, et qu’on y vienne en procession pour recevoir les grâces que je veux y répandre. »
 
N’est-ce pas la meilleure réponse aux prétentions  infâmantes de Luther ? Insistons sur l’importance du danger que revêt le protestantisme aux yeux de la Vierge Marie en signalant une autre apparition, 138 ans plus tard, lorsque Calvin emprunte la vallée de l’Isère pour propager ses erreurs dans l’est de la France.
Une fois de plus, la Vierge Marie se dresse comme un rempart. Elle apparaît en 1657 dans le hameau « Les Plantés » en Dauphiné cette fois, à un protestant, Pierre Port-Combet, et elle le presse d’embrasser la religion catholique. Le site prend le nom de Notre-Dame de l’Osier, car quelques années auparavant le paysan avait vu saigner les osiers qu’il taillait le jour du  Seigneur, un dimanche.
Par ces deux apparitions la Mère de Dieu nous enseigne la gravité des attaques de Luther et de Calvin, et par là l’incompatibilité qui existe entre la religion catholique et le protestantisme. Aucune condescendance ne permettrait de les associer, pire encore, de les assimiler, au nom de quelques points communs. Les conséquences sont trop graves, est-il besoin de les rappeler, quand elles conduisent aujourd’hui la chrétienté à une apostasie générale ?
L. et T. : A ce site sont attachés les noms de grands saints directement liés à l’histoire religieuse de la France : saint Michel Archange, sainte Catherine d’Alexandrie, saint Bernard. Comment y sont-ils intervenus ?
E. H. : Les événements de Cotignac présentent une certaine analogie avec la transfiguration du Christ sur le Mont Thabor : aucun geste ne nous est rapporté, aucune parole autre que le message que la Vierge Marie adresse au bûcheron. Tout se passe comme si, au petit matin du 10 août 1519, la nuée s’était un instant déchirée pour permettre à Jean de la Baume de surprendre le colloque céleste sans en saisir les paroles, et d’entendre seulement la Vierge Marie édicter la décision finale : « Allez dire au clergé… ». L’intervention de saint Michel Archange, de sainte Catherine d’Alexandrie et de saint Bernard ne tient donc que par la signification de leur présence :
– Celle de saint Michel Archange, Chef de la Milice céleste, nous rappelle que nous aurons à lutter contre les mensonges et  les ruses du démon, (particulièrement dans les ravages de la franc-maçonnerie), 
 – Celle de sainte Catherine d’Alexandrie (290-307), protectrice des soldats, patronne des philosophes, que nous aurons à lutter contre l’hérésie,
 – Celle de saint Bernard enfin (1090-1153), que nous devrons combattre les dangers de l’islam. On pourrait prêter à l’ensemble des acteurs de l’apparition sur le Mont Verdaille ses exhortations lors de son prêche de la deuxième croisade à Vézelay :
« Ceignez vos reins, n’abandonnez pas le roi des cieux » !
L. et T. : Et puis, vous relatez l’épisode extraordinaire et même miraculeux, mais très peu connu, de l’arrivée d’une relique insigne : le corps de sainte Anne, la mère de la Vierge Marie. Comment cet événement s’est-il déroulé ? 
E. H. : En l’an 34, vingt-quatre chrétiens, furent, par haine du Christ, jetés dans une barque sans voile ni rames. L’embarcation, vraisemblablement partie de Jaffa (aujourd’hui Tel Aviv-Jaffa, port de la côte est de la Méditerranée, proche de Jérusalem où mourut sainte Anne), transpor­tait, outre les plus chers amis du Christ, le corps de la mère de la Sainte Vierge. Marie-Madeleine, Marie Jacobé et Marie Salomé, « étaient du voyage », elles qui, au petit matin de Pâques, s’étaient rendues au tombeau du Christ pour embaumer le corps du Maître, devaient veiller cette fois sur celui de son aïeule. La tradition attribue l’arrivée miraculeuse de l’embarcation qui vint s’échouer sans dommage sur un bras du Rhône, à la présence de cette relique sacrée. C’est pourquoi sainte Anne est invoquée contre les périls de la mer en Provence, et notamment à Marseille, conjointement à Notre-Dame de la Garde. Leçon de reconnaissance : c’est en chantant des cantiques d’action de grâces que ces « naufragés » de la mer posèrent pour la première fois le pied sur le sol de notre pays.
Sainte Anne est un lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament, elle l’est aussi entre le peuple d’Israël qui allait renier le Christ et celui de  France, qui allait hériter de la mission divine. Il est émouvant de penser  que la France qui deviendrait, par le baptême de Clovis, la fille aînée de l’Eglise, reçut les reliques de Sainte Anne qui, ainsi que son époux, saint Joachim, était de la race royale de David.
Me permettrez-vous d’achever, brièvement, l’historique des reliques de sainte Anne ? Son corps fut transféré, sans doute par mesure de prudence, à Apt, importante colonie romaine de la Gaule Narbonnaise, ville naturellement protégée par trois chaînes de montagnes. Saint Auspice, premier évêque d’Apt, avant de subir le martyre, vraisemblablement au IIe siècle, se hâta de cacher la relique dans un souterrain. Elle fut découverte miraculeusement par un jeune aveugle, sourd et muet de naissance, Jean, fils du baron de Caseneuse : lorsque Charlemagne  fit  reconsacrer par l’archevêque Turpin (arch. de Reims), la cathédrale qui avait été profanée, Jean demanda par signes, pendant l’office divin, qu’on creusât le sol. Charlemagne ordonna qu’on accédât à ses vœux et la châsse de Sainte Anne fut découverte, au fond d’une crypte. Jean, miraculeusement guéri s’écria : « c’est elle ! », tandis que le voile qui enveloppait les reliques, livrait l’inscription : « Ici repose le corps de sainte Anne, Mère de la glorieuse Vierge Marie ». C’était le jour de Pâques de l’an 792.
Puisque nous évoquerons plus loin Anne d’Autriche, signalons dès maintenant que la reine, privée de descendance lors de sa longue période de stérilité, avait demandé des prières au sanctuaire d’Apt. En effet, sa sainte patronne avait connu les mêmes souffrances qu’elle puisque elle était restée longtemps stérile avant de concevoir la Vierge Marie. En reconnaissance pour la naissance du dauphin, la reine, après avoir honoré le sanctuaire de Cotignac, le 21 février 1660, visita celui d’Apt (17 mars 1660). Pour remercier sa sainte patronne, elle fit construire une chapelle – « la chapelle royale » – pour abriter ses reliques.
L. et T. : En cette circonstance, nous apprenons également l’origine du nom de la petite ville des Saintes-Maries-de-la-Mer.
E. H. : Le lieu où accostèrent les amis du Sauveur, à l’orée de la Gaule intérieure, était une indication du Ciel : remplis d’ardeur et de foi pour gagner au Christ la « Provincia Romana », ils se répartirent la tâche puis ils remontèrent la vallée du Rhône et fondèrent les premières communautés chrétiennes, en particulier celles de Vienne et de Lyon qui donnèrent de nombreux martyrs (177). Les trois Maries, Marie Madeleine, Marie Salomé et Marie Jacobé, particulièrement connues pour être demeurées avec la Vierge Marie au pied de la Croix, et pour s’être rendues, au petit matin de Pâques, au tombeau du Christ afin d’embaumer son corps, ne les suivirent pas : Marie-Madeleine s’en fut pleurer ses péchés dans la solitude du Massif de la Sainte Baume, Marie Salomé et Marie Jacobé, quant à elles, sont à l’origine de la pittoresque petite ville de Camargue qui porte le joli nom : « Les Saintes-Maries-de-la-Mer ». On ne s’étonnera pas que celle-ci soit située sur le chemin de Compostelle, puisque l’apôtre saint Jacques est le fils de Marie Salomé.
Plus âgées que les autres disciples du Christ, les deux Maries étaient restées sur place. Elles construisirent un premier oratoire qui sera à l’origine de l’église que nous connaissons. « C’est là, écrivait le chanoine Chapelle en 1926, que va être plantée la première croix, là que va être célébrée la première messe sur la terre des Gaules. C’est de là que va partir l’étincelle qui portera la lumière de l’Évangile à la Provence d’abord, ensuite au reste de la France ». Les saintes avaient aussi érigé le premier autel dédié à la sainte Vierge sur la terre des Gaules. elles évangélisaient les nomades qui parcouraient les forêts et les bras du Rhône, secondée par leur servante Sara dont on ne sait si elle les avait accompagnées depuis Jaffa, ou si, déjà implantée dans la région, elle avait décidé de partager leur vie et de les servir. Les gitans retiennent la deuxième version, la plus probable, et l’honorent comme celle qui « guida leur migration des pays de l’est vers la mer ». Quoi qu’il en soit, « Sara la Noire », avait dans l’un ou l’autre cas effectué un long voyage pour gagner la Camargue ! Elle est la patronne des gens du voyage, très fervents à son égard, et qui viennent chaque année l’honorer en pèlerinage. L’église des Saintes-Maries abrite les châsses des deux Maries, situées dans la partie supérieure de l’église, tandis qu’une simple caisse, placée sous un autel de la chapelle souterraine, renferme les ossements de sainte Sara, d’origine plus modeste. C’est le « Bon Roi René », dont nous parlerons plus loin, qui ordonna des fouilles (1448) qui mirent à jour les reliques des saintes.
Extrait du n° 47 – nouvelle série (mars 2015) de Lecture et Tradition
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