Chiré

Chiré : un demi-siècle de combat pour le livre !

Avant-propos pour le 50ème anniversaire 

Pour cette circonstance exceptionnelle, nous proposons une synthèse de nos quatre numéros parus en 1976, 1986, 1996 et 2006 pour les 10e, 20e, 30e et 40e anniversaires.
Nous reproduisons, en premier lieu, une partie de l’éditorial rédigé par Jacques Meunier pour le 10e anniversaire (n° 60, mai-juin 1976). Nous avons tenu à laisser cette première place à Jacques Meunier qui, grâce à ses brillantes qualités de rassembleur, d’entraîneur d’hommes et de propagandiste, fut l’inspirateur de tout ce qui a été réalisé à Chiré depuis 1966 et resta le compagnon de route, le proche ami et le complément indispensable de Jean Auguy pendant de longues années, jusqu’à sa mort prématurée, en 1994 (il était âgé de 52 ans !). Il resta un militant exceptionnel chez qui le courage n’avait d’égal que la fidélité.

En voici la teneur :
« On a trop l’habitude, chez les « libéraux avancés », de s’arroger l’apanage de la jeunesse, pour qu’il nous soit donné de souligner qu’une revue traditionaliste et contrerévolutionnaire a été créée, il y a dix ans, et par des garçons de 20 ans. Aux marches de la Vendée Militaire (faut-il y voir un signe ?), nous ne pouvons que nous souvenir des chefs de l’Armée Catholique et Royale, de l’ « Armée des Géants » qui avaient 20 ans eux aussi, et dont nous avions fait nos modèles, pour marcher dans leurs pas, écrasés par leur image, leur grandeur et leur foi. Derrière leurs bannières, la fidélité à la Contrerévolution, tranquillement et opiniâtrement vécue depuis dix ans, soutenue et partagée par le nombre grandissant de vous tous, amis lecteurs, peut apparaître aux yeux des media comme un travail de fourmis. Peut-être, mais la fourmilière s’est agrandie ; elle n’offre aux regards superficiels que ses entrées et le mouvement extérieur des ouvriers et des ouvrières attelés aux mêmes tâches répétitives. Que sauront-ils jamais du travail des profondeurs, de la consolidation de l’édifice, des réserves accumulées, de ces munitions que sont les bons livres et les bons textes, mais surtout du travail opéré dans les âmes, les intelligences et les cœurs, chez ceux qui sont venus chercher ici la nourriture qu’ils ne trouvaient pas ailleurs, ni dans les églises, les universités, les écoles ou les familles ? Que sauront-ils jamais de ceux qui ont été confortés, qui ont découvert les vérités éternelles qui régissent le ciel et la société des hommes, de ceux mêmes qui ont retrouvé les chemins de la foi par les lectures, des activités ou des contacts noués par cette centrale de diffusion que nous voulions promouvoir ? Dieu seul le sait ! […]
« Sans haine et sans exclusive, nous avons voulu affirmer la Contrerévolution, avec le souci permanent de ne pas heurter, si ce ne sont les suppôts de la révolution, avoués ou masqués, et pour lesquels il ne saurait y avoir de quartier. Jamais nous ne sommes entrés, et jamais nous n’entrerons, dans les luttes partisanes et fratricides qui déchirent la « droite ». Nous ne serons jamais l’annexe ou la filiale d’un quelconque mouvement ou les admirateurs inconditionnels d’un homme. Qu’on ne cherche pas à nous rattacher à tel ou tel, ce serait mensonge : la Contrerévolution n’appartient à personne et personne n’a le droit de s’identifier à la Contrerévolution ; ce serait calomnie de nous prêter ces tentations » […]
« Entourés de votre amicale et permanente charité, de nos angoisses et de nos espérances communes, nous avons cheminé, nous avons travaillé ensemble, auteurs, rédacteurs et lecteurs, dans une authentique croisade du livre contrerévolutionnaire. Beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire. Dix ans, c’est à la fois très long et très court ; c’est dans tous les cas un temps suffisant pour avoir acquis la confiance et la fidèle amitié de milliers de lecteurs dont nous voudrions qu’ils soient ou qu’ils deviennent des milliers de militants de la Contrerévolution. Les temps sont mauvais, le mal est partout triomphant et nos ennemis pavoisent, mais la Victoire de Pâques est si près des ténèbres du Vendredi-Saint, que nous ne sommes animés d’aucune crainte, car nous savons que les bannières du Sacré-Cœur flotteront un jour proche sur les tours de Notre-Dame ».
Dix années plus tard, en 1986, pour le 20e anniversaire,  Jean-Baptiste Geffroy rédigeait l’introduction du n° 119 :
« En créant Lecture et Tradition, Chiré a fait œuvre originale. A Chiré il y a deux choses : Diffusion de la Pensée Française et Lecture et Tradition. Un tandem intelligent, une librairie par correspondance et un bulletin littéraire. Il ne s’agit pas de concurrencer les organismes de diffusion existants, mais de bien faire connaître certains livres et de présenter la presse amie de langue française, en bref de travailler pour l’imprimé, de faire partager cette nécessité de notre époque : lire, ainsi que les grandes joies qu’elle procure […] Oui le premier numéro de Lecture et Tradition était un symbole. Il traduisait une réalité pleinement rassurante et pleine de promesses. Le drame algérien avait à peine fini d’enterrer ses morts et de murer ses prisonniers que la relève était assurée. Petitement, humblement avec cette espérance qui succède aux espoirs meurtris. Et il y aura depuis cent vingt numéros célébrant des centaines d’auteurs et des centaines de livres, de bons livres, commentés, propagés diffusés, arrachés au silence écrasant du “ système ”. Le beau défi ! Qui oserait dire aujourd’hui qu’il n’a pas été relevé et surmonté ? ».
La même année, paraissait le premier Cahier de Chiré dont le contenu du propos liminaire rendait un bel et bon Hommage à vingt années de dévouement, afin de saluer les mérites de Jean Auguy, vingt ans après la naissance de « Chiré ». Nous estimons essentiel de rappeler ce que nous pouvions y lire :
« Voici donc qu’en vingt ans, à force de travail, de volonté, de ténacité, d’un incroyable dévouement, de sacrifices inouïs pour un garçon de vingt-quatre ans, de renoncement presque total aux biens et satisfactions de ce monde, il est parvenu à réaliser l’inimaginable.
Vingt ans pour rassembler, réunir, archiver entre les murs antiques de la vieille maison de Chiré, un choix de livres unique en France, et probablement dans le monde, et une documentation exceptionnelle qui prendra avec les années une valeur inestimable.
Vingt ans pendant lesquels ont été expédiés de ce modeste bourg poitevin des centaines de milliers de colis contenant des millions de livres, brochures et numéros de revues qui sont allés se répandre aux quatre coins de France, d’Europe et même du monde, puisque Chiré a des correspondants dans presque tous les pays du globe, à l’exception, bien sûr, des contrées soumises à la dictature marxiste.
Vingt ans d’un labeur quotidien, de tous les instants, pratiquement sans trêve ni répit, ingrat souvent, décourageant parfois, désespérant certains jours !
Mais aussi vingt ans d’enthousiasme et de certitude de mener le bon combat (…) On peut dire, sans aucune exagération, qu’il contribua ainsi puissamment à cette résurrection du courant intellectuel contrerévolutionnaire qui n’a cessé de s’accroître en France depuis cette vingtaine d’années, par la création et le développement de petites maisons d’édition indépendantes, de centres de diffusion, de librairies, de tables de presse. On peut affirmer que cette imprégnation des esprits n’est probablement pas étrangère au renouveau de l’élan contrerévolutionnaire qui s’est manifesté dans la multiplication de diverses initiatives, telles que cercles d’études, associations, journaux, pèlerinages, écoles indépendantes, communautés religieuses, monastères et abbayes, etc.
Jean Auguy est modeste et n’aime pas beaucoup que l’on parle de lui. Pourtant, il faudra bien un jour que l’intelligence française lui élève une stèle en remerciement de tout ce qu’il a fait pour elle.
C’est lui, en grande partie, qui a réussi à faire connaître et sortir de l’oubli des auteurs et des livres que la propagande « officielle » se garde bien de mentionner.
C’est grâce à lui et à son travail acharné, qu’ont pu être éditées, rééditées ou diffusées les œuvres de très grands auteurs contrerévolutionnaires tels l’abbé Barruel, Jacques d’Arnoux ou Léon de Poncins.
C’est grâce à lui que, depuis vingt ans, ont été mis en circulation des millions de bons livres.
C’est lui qui a ouvert ses colonnes de Lecture et Tradition aux articles d’auteurs oubliés, inconnus ou peu connus.
C’est lui qui a eu le courage d’éditer les livres aussi essentiels que ceux de Robert Martel et du colonel Chateau-Jobert.
C’est lui qui a permis que  le nom de ce très grand poète qu’est Pierre Pascal ne tombe pas définitivement pas dans l’oubli […].
En un mot, c’est lui qui a mis en application pour notre époque ces propos que tenait au siècle dernier saint Antoine-Marie Claret : On peut dire que la lecture est la nourriture de l’âme. Si on donne au corps une alimentation saine, il se portera bien ; si on lui fournit des mets avariés, il éprouvera de très grands malaises. Il en est de même pour les livres. Ceux qui sont bons et adaptés aux lecteurs, produisent d’excellents effets ; les mauvais, au contraire, détruisent la foi et corrompent les mœurs. C’est d’abord l’entendement qui s’égare, c’est ensuite le cœur qui se corrompt. De nos jours, il importe plus que jamais de faire circuler les bons livres (1).
Rien n’était donc plus nécessaire, ni plus urgent, ni plus important dans la France de 1966 que de faire circuler les bons livres quand on sait à quel point les entendements s’égaraient et les cœurs étaient corrompus ! »
En 1996 (30e anniversaire), c’est de nouveau à Jean-Baptiste Geffroy que fut confiée la rédaction de l’éditorial du n° 231-232. Il y proposait la réflexion suivante :
« Le monde de 1996 n’est plus, bien évidemment, celui de 1966. La Révolution est à la recherche d’un nouveau souffle, en quête d’une dynamique lui permettant d’accomplir la métamorphose nécessaire à son expansion. Cette métamorphose est en train de s’accomplir : la Révolution affiche aujourd’hui ouvertement son projet insensé d’unification économique, politique et spirituelle d’un univers dont elle a déjà largement remodelé les structures géopolitiques (…) Cette réorganisation du monde est en pleine réalisation, voire en phase d’achèvement, si l’on considère l’état d’avancement de l’Europe intégrée.
« Transformée dans ses manifestations, la Révolution se renouvelle dans ses sources, dans ses fondements doctrinaux. Depuis pratiquement ses débuts, l’équipe de Chiré s’est consacrée à l’étude de la subversion, tâche nécessaire à la compréhension des principes et des moyens par lesquels la Révolution, et son inspirateur luciférien, s’attaquent aux sociétés traditionnelles, aux nations, aux âmes, à l’Église catholique. Telle est l’action à laquelle Chiré s’est attelé depuis trente ans, avec Camille Bouchard, Jean Vaquié, Étienne Couvert et Christian Lagrave : retrouver le principe premier de la Subversion. A cet égard, l’équipe de Chiré a accompli un travail de pionnier en développant l’étude des doctrines occultes et particulièrement de la gnose, cette forme supérieurement achevée de subversion du catholicisme, en cherchant notamment à connaître et mesurer son pouvoir de destruction de l’Église.
« La période actuelle est celle d’une recomposition, d’une réorganisation totale du mouvement révolutionnaire. Des cadres idéologiques nouveaux apparaissent (occultisme, gnose, Nouvel âge, théorie du chaos, écologisme intégral), bouleversant les schémas établis, nous contraignant à un constant effort de réflexion. Nous continuerons à Chiré d’apporter, par la propagation de l’écrit, notre contribution au combat doctrinal.
« En 1966, Jean Auguy s’enfermait dans les murs austères d’une ancienne école libre pour participer à la bataille des idées, dans un esprit d’amitié et hors de toute polémique. Il y a trente ans de cela. Malgré les scories inévitables de toute œuvre humaine, on ne doutera pas un instant que Chiré ait été fidèle aux promesses de jadis. Ces trente ans révolus de combat contrerévolutionnaire restent, j’en suis sûr, porteurs des succès de demain ».
Enfin, pour les 40 ans (n° 353-354 de Lecture et Tradition, juillet-août 2006), c’est Jean Auguy, en personne, qui rédigea l’entrée en matière, conclue en ces termes :
« Qui aurait pu dire, lorsque, gentiment, ma mère me glissait, « on ne t’avait pas payé des études pour faire cela », que quarante ans après, il y aurait 17 personnes à temps plein, un bureau à Paris, une deuxième revue, Lectures françaises, plus de cent livres édités, une installation dans une propriété de 10 hectares ? J’ai fait tout ce que je pouvais, trop souvent au détriment de ma famille, avec cinq jeunes enfants et un budget limité, ce n’est pas toujours très simple ; j’ai essayé de ne pas participer aux querelles sans garder ma plume serve et donc en disant ce que j’avais à dire, ce qui exige un très subtil sens de l’équilibre ! J’ai aidé, plus ou moins, des centaines d’auteurs qui estiment que je ne fais pas assez, car ils ne mesurent pas les contraintes économiques ; j’ai aidé, de même, des éditeurs, des journalistes ; un courant comme celui qui existe ces dernières années autour de sainte Philomène est parti, en France, de Chiré et je n’en reviens pas encore lorsque je constate le nombre d’enfants portant ce prénom parmi nos familles proches.
« Revenons sur le gros point noir majeur : je ne peux pas supporter la multiplication des querelles argumentées à partir de ragots, d’insinuations perfides, de suppositions calomnieuses, d’étalages de problèmes familiaux ou privés et j’en passe. Cela nous fait un mal considérable et éloigne de nombreux amis écœurés par tant de haine. Qu’on ne nous dise pas que cela est un devoir du combat des idées ; nous pourrions facilement démontrer que, dans de nombreux cas, la critique n’est venue qu’après un différend et qu’avant le supposé devoir n’existait pas ! Des « amis » n’ont pas hésité à utiliser un véritable chantage sur nous pour nous engager avec (ou pour nous éloigner de) tel ou tel auteur ou journaliste ! Tout est mis en œuvre : menace de lancer une campagne contre nous, refus de nous livrer (une commande de livres) en inventant des motifs inexistants et même faux, et en 40 ans, les cas de ce type ne sont pas uniques ! Et, à l’inverse, cela nous vaut de multiples pressions avec l’argument simpliste qu’il ne faut pas évoquer tel sujet car on participe ainsi à telle ou telle querelle !
« Il est possible d’exposer un point de vue critique sans pour cela considérer le voisin comme un ennemi. Je l’affirme et je l’applique sans pour autant être à l’abri d’un faux pas (dans ce cas, ce n’est pas une politique constante, mais une erreur, qu’il peut arriver à chacun d’entre nous de commettre, d’autant que je ne suis pas seul).
« Pour terminer, je lance un grand appel pour la lecture. Sauf cas particulier, nos jeunes générations ne lisent pas ou peu ; elles réagissent instinctivement, mais leurs arguments sont très faiblement fondés. Chers amis lecteurs, donnez le goût de la lecture à vos enfants et, si possible, de la bonne lecture. Je le répète, chaque année à l’occasion de nos Journées Chouannes : le plus souvent, les jeunes ne liront pas s’ils ne voient pas leurs parents ou leurs proches le faire ».
*
Il nous semble superflu d’ajouter quelque commentaire que ce soit à ce rapide survol des cinquante années d’existence de la maison de « Chiré ». Nous nous bornerons à affirmer, au risque de nous répéter, que cette réussite est l’œuvre de l’ensemble des personnes qui y ont pris part, mais nous avons la conviction que si elle a pu surmonter tant de difficultés et d’épreuves au long, aujourd’hui, de son demi-siècle d’existence, les mérites humains n’y suffisent pas. Nous ne pouvons rien dire d’autre que reprendre une très belle phrase prononcée par Henri de La Rochejaquelein, lorsque les Armées Catholiques et Royales étaient parvenues jusqu’à Saumur, après avoir mis en pièces les troupes révolutionnaires, le soir du 10 juin 1793 : « Je réfléchis à nos succès, ils me confondent. Tout vient de Dieu ».
Jérôme SEGUIN
1 – Saint Antoine-Marie Claret (1807-1870) est né en Catalogne. Toute sa vie a été consacrée à la propagande et au prosélytisme. Il est le fondateur (en 1849) de la congrégation des Fils du Cœur Immaculé de Marie (Clarétins). Après un séjour de six années à Cuba, il rentra en Espagne (1857), créa l’Académie Saint Michel, pour les intellectuels catholiques, multiplia les bibliothèques populaires et diffusa un très grand nombre d’ouvrages. Il prit part au Concile du Vatican et termina sa vie en France où il mourut (au monastère cistercien de Fontfroide, dans l’Aude) le 24 octobre 1870. Il a été canonisé en 1950.

 

C’est à la demande expresse de son directeur de conscience qu’il a écrit le récit de sa vie. De cette Autobiographie (rédigée entre 1861 et 1867) est extrait le texte que nous reproduisons ici (Editions du Soleil Levant, Namur, 1961. Deuxième partie, chap. XXI. Textes traduits par le Fr. Léonor-Alban, F.S.C., choisis et annotés par le R.P. Jean-Marie Lozano, C.M.F.).
Extrait du n° 62 – nouvelle série (juin 2016) de Lecture et Tradition

 


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