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1715-2015 : trois siècles d’éclipse du Roi-Soleil (1re partie)

Extrait de l’étude de Jean-Baptiste GEFFROY
Au matin du 1er septembre 1715, à huit heures quinze, Louis XIV rendait son âme à Dieu. A dater de ce jour, naît la légende noire du Roi-Soleil. Elle perdure aujourd’hui en cette année du tricentenaire de sa mort, comme en témoigne cette pauvre formule concoctée par deux tâcherons de la grosse presse gavés des clichés de l’histoire officielle : « Le Roi-Soleil n’a le droit qu’à un convoi funéraire de nuit, car on craint les railleries du peuple qui n’en pouvait plus de ce vieux roi bigot ayant dépouillé la France pour matérialiser ses rêves de grandeur » 1. C’est sur le lit de mort de Louis XIV que s’est construite cette image caricaturale d’un roi guerrier, tyrannique, dépensier, orgueilleux et débauché. Sur son lit d’agonie, l’entourage dévot le poussera à s’accuser de fautes dont certaines étaient sans doute réelles, mais beaucoup imaginaires ou démesurément grossies.
Des trois déclarations « pénitentielles » qu’il prononcera, c’est la troisième, la plus célèbre, celle qu’il adresse à son arrière-petit-fils, le futur Louis XV, qui confesse les « méfaits » d’un règne belliqueux : « Mon cher enfant, vous allez être le plus grand roi du monde […] tout votre bonheur dépendra d’être soumis à Dieu et du soin que vous aurez de soulager vos peuples. Il faut pour cela que vous évitiez autant que vous le pourrez de faire la guerre ; c’est la ruine des peuples. Ne suivez pas le mauvais exemple que je vous ai donné sur cela. J’ai souvent entrepris la guerre trop légèrement et l’ai soutenue par vanité, ne m’imitez pas, mais soyez un prince pacifique et que votre principale occupation soit de soulager vos sujets ». Saint-Simon ajoutera la mention sans doute apocryphe sur la « folie des bâtiments ». La cause est entendue : désormais, on dénoncera la toute-puissance royale, le règne du bon plaisir, l’asservissement de la noblesse, la centralisation du pouvoir, la bureaucratie, les gouffres financiers de Versailles, de Trianon et de Marly, les scandales des maîtresses, les guerres interminables, l’intolérance religieuse, la révocation de l’édit de Nantes, les inégalités, la misère du peuple, les famines et le grand hiver de 1709.
Pourquoi Louis XIV a-t-il donc concentré et concentre-t-il toujours sur lui tant d’animosité ? Pourquoi cet acharnement sur lui et pas sur d’autres : l’Empereur germanique, Guillaume d’Orange, le duc de Savoie ? Pourquoi reprocher à Louis ce qu’ont déjà fait ses prédécesseurs et ses contemporains ? Pourquoi reprocher Versailles à Louis XIV et pas Chambord à François 1er ? Pourquoi reprocher à Louis XIV la guerre de Hollande et absoudre Louis XII des guerres italiennes ? Pourquoi dénoncer la vie dissolue de Louis XIV et faire si bon marché de celle du Vert-Galant ? Ne sont-ce d’ailleurs les mêmes qui après avoir dénoncé ses maîtresses, lui reprochent la « bigoterie » de la deuxième partie de sa vie, le qualifiant tour à tour de Sardanapale et de Tartuffe ? Parce que Louis a incarné plus que tout autre – saint Louis étant à part – la France monarchique et chrétienne ; parce que la condamnation de la royauté passe d’abord par la sienne. Dans le procès de la monarchie française millénaire, Louis XIV est au premier rang des accusés.
Il y a bien un mystère dans la phobie qu’il a inspirée et qu’il inspire toujours sous certaines plumes, alors même que les plus inattendues ont su lui rendre justice : Voltaire, Leibnitz, Tocqueville même d’une certaine manière, et jusqu’à ses ennemis. Quelques jours après la mort de Louis XIV, la nouvelle est apportée au roi de Prusse, Frédéric-Guillaume, qui réunissait à ce moment ses conseillers. Il n’a qu’un mot : « Messieurs, le roi est mort ». Comme si, pour le Roi-Sergent, en Europe, il n’y avait vraiment qu’un seul roi dont il était inutile de préciser le nom.
Pourtant, une historiographie plus récente lui a rendu justice, non par idéologie ou par contre-idéologie, mais grâce à plus d’honnêteté et de rigueur scientifique : Louis Bertrand, Pierre Gaxotte hier, et plus récemment André Corvisier, Jean Meyer, Jean-Pierre Labatut, Roland Mousnier, René et Suzanne Pillorget et Jean Christian Petitfils, François Bluche. Les récents et passionnants travaux d’Alexandre Maral ont donné un éclairage nouveau sur le grand roi dont un émouvant récit sur les derniers jours de Louis XIV et un remarquable ouvrage sur Louis XIV et Dieu 2. La muraille du mépris édifiée depuis trois siècles est donc sérieusement ébranlée et ce tricentenaire doit être pour nous l’occasion de rendre justice à Louis, aux soixante-douze ans d’un règne unique dans notre histoire. Il ne s’agit certes pas d’en gommer les ombres, ni de passer sur ses défaillances et ses fautes. Ainsi que Voltaire le reconnaissait, le soleil a aussi ses taches. Mais les grandeurs l’emportent largement sur les faiblesses de l’homme et de son règne.
Le roi solaire
On ne saurait assez rappeler les conditions périlleuses dans lesquelles Louis XIV monta sur le trône : d’abord son très jeune âge – à la mort de Louis XIII, le 14 mai 1643, il a quatre ans, huit mois et neuf jours – ensuite l’inexpérience de sa mère régente, certes secondée par Mazarin, mais qui doit d’emblée accepter la rentrée en scène des « Grands », avides de reconquérir une puissance que le duumvirat Louis XIII-Richelieu avait fini par abaisser. Tout était réuni pour que se vérifie cette sentence de l’Ecclésiaste (X,16) : « Malheur à toi, terre dont le roi est un enfant et dont les princes mangent au matin ». Dès la fin août 1643 survient, en effet, la cabale des Importants, complot monté par un écervelé, François de Vendôme, duc de Beaufort, petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, la folle « chevrette », Marie de Rohan-Montbazon, duchesse de Chevreuse et la duchesse de Montbazon pour écarter Mazarin. Cinq ans, après, débute la Fronde qui marquera Louis profondément. Dans cette période dangereuse, l’Enfant-roi dut son salut à un étranger, le « faquin » brocardé par les frondeurs, Mazarin, le cardinal-parrain qui sut le protéger, faire son éducation tant politique que spirituelle et lui laisser un royaume pacifié dont la prépondérance et la sécurité étaient garanties par les traités de Westphalie. La dette de la France à son égard est immense.
Les leçons de la Fronde
Louis en a gardé toute sa vie le souvenir angoissant et humiliant. D’abord la Fronde parlementaire qui contenait les germes d’une dangereuse révolution politique. En mai 1648, les quatre cours souveraines de Paris instaurent une assemblée nouvelle dite Chambre Saint Louis qui, sous le couvert de lutte contre la tyrannie financière et la défense des intérêts du peuple, prône la suppression des intendants, l’instauration d’une sorte d’habeas corpus, mais surtout l’attribution au Parlement d’un droit de surveillance des édits bursaux3, prélude à celui du vote de l’impôt, et à sa transformation en « chambre des communes ». Ensuite, la Fronde des « Grands », une coalition d’intérêts partisans, constituée par des dignitaires sans envergure, sans vision politique ; une alliance de médiocres (Gaston d’Orléans, sa fille la Grande Mademoiselle, le duc de Bouillon), de mégalomanes (Condé, grand capitaine, mais politique inconsistant et inconstant), de conspirateurs brouillons (Gondi, courant après son chapeau de cardinal, la duchesse de Longueville sœur de Condé et leur frère Conti, le duc de Beaufort, un démagogue brave mais sans cervelle et à leur suite, toute une théorie de ducs et pairs, gavés de privilèges et insatiables : La Rochefoucauld, Brissac, Luynes, Talmont, Montmorency-Bouteville. Cette période fut un effarant gaspillage d’énergie et d’argent, une révolte d’ « adultes gâtés » (F. Bluche), mais aussi et surtout une dangereuse atteinte portée aux fondements de la monarchie. Les parlementaires s’abritaient derrière l’alibi politique, invoquant les droits des parlements, les libertés du peuple dont ils se souciaient comme d’une guigne ; les Grands ne dissimulaient rien de leur avidité d’un pouvoir qu’ils convoitaient tout en étant incapables de l’exercer, pataugeant dans des querelles de préséance et les rivalités de clans. De cette trahison, celle des siens, d’un Fils de France (Gaston d’Orléans), des princes du Sang (Condé, Conti), celle de sa noblesse, notamment la haute, la plus prébendée, Louis XIV n’oubliera rien et saura exorciser ce désordre mortel. (lire la suite dans notre numéro).

1 – Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos, 1er septembre 1715. Le Roi-Soleil meurt de la gangrène dans l’indifférence des Français (Le Point 01/09/2013, Le Point.fr ).
2 –  Une bibliographie indicative sera fournie en fin de deuxième partie de cet article qui paraîtra dans le prochain numéro de Lecture et Tradition.
3 – Edits créant de nouveaux impôts (NDLR).


Extrait du n° 54 – nouvelle série (octobre 2015) de Lecture et Tradition
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