Autre

« L’ennemi intérieur de la IIIe République »

(Editions de Chiré, 2014)
Entretien avec son auteur, Pierre-Denis Boudriot (extrait)

Lecture et Tradition : Des mesures visant à exclure des « Indésirables » de la vie sociale ont été prises par des gouvernements radicaux-socialistes. Vouloir rejeter des individus qui, pour la plupart, ont fui leur pays de naissance et sont venus chercher asile et protection en France n’est-ce pas un choix paradoxal pour des hommes politiques, inspirés par la culture des « Droits de l’Homme » et pour beaucoup, membres de loges maçonniques ?

Pierre-Denis Boudriot : Cette politique de répression et d’enfermement menée contre d’authentiques exilés et réfugiés paraît entrer en effet en contradiction flagrante avec les valeurs républicaines dont se réclamaient les hommes qui la mirent en œuvre.
Mais les gouvernements Daladier, puis Reynaud, sont confrontés, depuis 1938, à une conjoncture internationale toujours plus inquiétante et une situation intérieure dégradée, notamment par l’afflux massif et précipité de réfugiés. Certains ministres eurent conscience de cette contradiction cinglante. Tout particulièrement Albert Sarraut, à l’Intérieur. Tout en recommandant, dans ses circulaires aux préfets, l’application la plus rigoureuse des mesures répressives, il s’évertuait à ménager les principes fondateurs de la République. L’exercice, quoique particulièrement ardu, était remarquablement maîtrisé. 
Il faut aussi s’affranchir du lyrisme du Front populaire, de sa mythologie, de la générosité de ses figures tutélaires dont nos rues, collèges et lycées magnifient à l’envi la mémoire. Les hommes du Front populaire sont souvent des hommes d’autorité, épris d’ordre et d’efficacité, à l’exemple de Marx Dormoy, nommé ministre de l’Intérieur fin novembre 1936 et grand pourfendeur de cagoulards.

Cette classe politique communie dans le culte de la Révolution. La montée des périls extérieurs, puis l’entrée en guerre exacerbent le jacobinisme foncier des radicaux-socialistes et les convainc de la légitimité de leur politique d’exception.

L. et T. : Une question se pose : ces immigrés de fraîche date n’étaient-ils que des rejetés des systèmes politiques qui les excluaient ou certains formaient-ils un ensemble d’individus venus en France pour enrichir leur situation matérielle ?

P.-D. B. : Des flux migratoires aussi importants charriaient immanquablement, mêlés aux réfugiés, nombre d’individus malfaisants et d’aigrefins, toujours habiles à tirer parti de ces exodes et rompus à tous les trafics.

L’entrée de tels éléments sur le sol de France ne pouvait qu’ alarmer la population.

L. et T. : Il nous paraît intéressant de relever cette notion de « décret-loi » que vous décrivez dans votre livre. En effet, en raison d’un antiparlementarisme de plus en plus aigu dans la population, les gouvernements successifs d’Édouard Daladier (le « Taureau du Vaucluse ») et de Paul Reynaud se sont passés de plus en plus de l’avis du parlement, jusqu’à déclarer la guerre à l’Allemagne sans l’avis de l’Assemblée. Ne s’agit-il pas là d’une forme de dictature ?

P.-D. B. : Si elle ne culmine pas au niveau du pouvoir absolu, l’autorité du  gouvernement s’apparente néanmoins, dès la fin 1938, à une forme de dictature fondée sur l’axiome : à situation exceptionnelle, pouvoirs exceptionnels.

L’accusation de dictature a été portée notamment par l’extrême gauche et le Parti communiste français contre Edouard Daladier. Mais elle est restée sans véritable écho dans l’opinion française, et n’a pas non plus mobilisé les députés.

L. et T. : Quel est d’après vos études le nombre total des arrestations suivies d’incarcérations durant cette période ?

P.-D. B. : La comptabilité, rigoureuse et exhaustive, des arrestations suivies d’une incarcération s’avère malaisée à effectuer. Leur nombre total est approximativement d’une vingtaine de milliers. Ces arrestations ont été opérées en à peine un an et se seraient multipliées si la guerre s’était prolongée.

L. et T. : Vous faites un rapprochement avec la répression versaillaise suite à l’écrasement de la commune de Paris en 1871. Y a-t-il une logique similaire entre ces deux situations ?

P.-D. B. : Les victimes de la répression versaillaise menée en 1871 contre les Communards et celles de la politique d’enfermement des années 1939-1940 présentent, me semble-t-il, un point commun : leur diversité sociale. Mais il ne saurait être question d’une logique commune à ces deux séquences.

L. et T. : Pouvez-vous nous éclairer sur la désertion de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste ? De quelles complicités a t-il pu bénéficier pour pouvoir rejoindre Moscou en pleine guerre et en toute sécurité ?

P.-D. B. : Décidée par Moscou et préparée depuis le 26 septembre 1939 par l’appareil illégal du Parti, la désertion de Maurice Thorez est effective le 4 octobre 1939. Maurice Thorez a pu rejoindre sans encombre la Belgique, puis la Suisse avant d’arriver à Moscou grâce aux réseaux supérieurement efficaces des Soviétiques en Europe occidentale. A de tels niveaux de responsabilités, des hommes comme Maurice Thorez sont complètement pris en charge par la Russie. Le Parti pourvoit à tout…

L. et T. : En mai 40, le gouvernement composé pour l’essentiel de juifs, de francs-maçons et de laïques inconditionnels assiste à une messe à Notre-Dame pour implorer l’aide de Dieu. « Crise de foi » ou manœuvre politique ? Leur destin politique valait-il une messe ?

P.-D. B. : C’est un gouvernement aux abois, dans les affres d’une défaite que certains pressentent aussi inéluctable qu’implacable, qui assiste le 19 mai 1940 à la messe célébrée à Notre-Dame, mais aussi à d’autres cérémonies religieuses vers la fin du mois de mai 1940. Point de conversion in extremis, ni de retour fulgurant à Dieu chez ces francs-maçons, juifs, et laïques militants, mais une peur panique qui ne fait négliger aucun recours, aucune voie et que l’on est prêt à conjurer à ce prix !

L. et T. : Alors que la politique menée depuis la fin de la Première Guerre mondiale conduit la France à ce désastre, que penser de l’exaltation du souvenir de la Révolution en pareille circonstance ?

P.-D. B. : Le souvenir de la Révolution est entretenu de longue date. Mais à partir de 1938-1939, son exaltation, servie par une rhétorique grandiloquente, est manifestement une arme de la propagande gouvernementale destinée à galvaniser les esprits et dont le temps fort est la célébration de son cent cinquantième anniversaire.

L. et T. : Vous employez dans votre livre le terme « La Troisième République agonisante », quelle conscience pouvaient en avoir d’un côté les hommes politiques au pouvoir et, de l’autre, la population.

P.-D. B. : La classe politique ne pouvait ignorer le degré de décrépitude avancée de la Troisième République, minée depuis des années par les scandales et les compromissions, fragilisée aussi par l’instabilité gouvernementale chronique, et travaillée par les menées subversives incessantes du Parti communiste « français ». L’antiparlementarisme ambiant, exprimé par la presse, témoigne du désaveu de ce régime par une grande partie de l’opinion publique. (lire la suite dans notre numéro)

Propos recueillis par Bastien FRÉMONT

Extrait du n° 45 – nouvelle série (janvier 2015) de Lecture et Tradition
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